Chaque soir, l’association Utopia 56 active son réseau d’hébergement solidaire pour trouver un toit aux dizaines de jeunes mineurs, sans abris, et de familles qui se trouvent Porte de la Chapelle, dans le nord de Paris. InfoMigrants est allé à la rencontre de ces migrants démunis et des bénévoles qui les aident.
Dans la voiture qui les amène à Fontenay-sous-bois, en région parisienne, Jawad et sa femme Niwab, ne semblent pas entièrement sereins. Le couple demande plusieurs fois, dans un anglais très approximatif, chez qui ils vont. De nationalité afghane, Jawad et Niwab se sentent un peu perdus : ils sont arrivés trois jours plus tôt seulement à Paris et ne parle pas un mot de français. Sylvain, le conducteur, a du mal à se faire comprendre.
"Ils vont être hébergés chez Nicolas et sa compagne", explique-t-il, tout en jetant un œil à son GPS. "Je suis censé les amener là-bas, puis revenir à l’association pour conduire d’autres jeunes chez d’autres gens", continue-t-il. "Parfois, [comme ce soir-là], à cause de la langue, la communication est compliquée. On fait comme on peut pour les rassurer". Sylvain fait partie d’Utopia 56, une association d’aide aux migrants qui, depuis le printemps dernier, a lancé un réseau d’hébergement solidaire.
Chaque soir, en effet, depuis leur petit local à Porte de La
Chapelle, une vingtaine de membres d’Utopia 56 se démènent pour trouver un logement
à un maximum de mineurs isolés, de femmes seules et de familles – qui n’ont pu (ou su) trouver de
places dans les traditionnels centres d’accueil (CAO, centre humanitaire de La
Chapelle…) en région parisienne. Tous les lundis soirs, Sylvain, fonctionnaire
d’une quarantaine d’années, leur donne un coup de main en mettant à disposition
son véhicule personnel – "et son essence", précise-t-il en riant –
pour transporter les migrants jusqu’à leur hébergement pour la nuit.
"Ils savent où nous trouver"
Le réseau d’Utopia 56 a fonctionné grâce au bouche-à-oreille. "Au départ, peu de gens étaient disposés à ouvrir leurs portes, mais aujourd’hui, nous avons un réseau d’environ 140 hébergeurs", explique Charlène, une des bénévoles de l’association. La plupart d’entre eux habitent Paris ou ses environs (Fontenay-sous-bois, Sevran, Montreuil…). C’est depuis le Boulevard Ney, où se situe le local* d’Utopia 56, que tout s’organise. C’est là que chaque soir, des jeunes migrants, des familles, des enfants patientent, en attendant que l’association leur trouve un toit pour la nuit. "La Porte de la Chapelle est un centre d’attraction pour les migrants. Ils savent où nous trouver".
>> Reportage : à Bruxelles, des citoyens belges
ouvrent leurs portes aux migrants
Le public fragile dont s’occupe Utopia 56 échappe au radar
de l’État et des centres d’accueil – où ils sont pourtant
prioritaires. "Il nous arrive d’avoir des mères avec des
nourrissons, des enfants de moins de 10 ans […] Certains se présentent à nous
vers 20h. C’est tard. Le centre de La Chapelle [géré par Emmaüs solidarité]
n’accueille plus personne à cette heure-là", rappelle Charlène. C’est
sans doute pour cette raison que Jawad, Niwab et leurs deux enfants, se sont
tournés vers l’association. "On est à côté. Alors, ils viennent vers nous".
Ce soir-là, les bénévoles se démènent pour loger trois familles de six personnes. Le plan Grand froid, mis en place pendant l’épisode neigeux en France, a pris fin. "Les gymnases, les mairies qui étaient ouverts ont fermé… Nous avons moins de solutions". Les coups de fil entre bénévoles et hébergeurs citoyens se passent dans un joyeux - et efficace - brouhaha. "Tu as la voiture pour amener la famille à Sevran, là ?", entend-t-on d’un côté. "J’ai un Afghan qui cherche un hébergement, c’est ok pour vous ?", dit un autre au téléphone. "Vous pensez qu’on peut leur amener deux jeunes mineurs. Ils ont l’air assez âgé, quand même. Je sais pas s’ils vont gérer…", confie un autre. Chaque migrant hébergé part avec un itinéraire en poche lui expliquant comment revenir le lendemain matin vers le Centre de la Chapelle. "Nous ne pouvons pas assurer leur retour, alors on leur imprime des plans", précise Charlène.
>> À relire sur France 24 : le webdocumentaire "Les hébergés"
"On ne laisse pas les gens dormir dans la rue"
Comme souvent, tout le monde n’aura pas la chance d’être logé. Alors, quand les bénévoles ont fait le tour de leurs contacts disponibles, d’ultimes alternatives s’offrent à eux. "Nous avons le numéro d’un libraire qui ouvre chaque soir sa boutique. À l’intérieur, il peut loger 8 à 10 personnes", explique Charlène. "Nous avons aussi quelques places dans un hôtel à Marcadet [nord de Paris] payées par MSF". Et quand toutes les solutions ont été épuisées, c’est le système D. "On loge les jeunes dans le véhicule de 9 places de l’association… Enfin, on évite de faire ça. C’est pas une solution. Ou alors, on installe des tentes sur le trottoir…"
Prioritaires en raison de leurs enfants en bas âge, Jawad, Niwab ont eu la chance d’avoir rapidement un toit pour la nuit. Certains patientent jusqu’à 22h30 sur le trottoir avant d’être logé. "En général, les hébergeurs** sont plus enclins à vouloir accueillir des familles", précise Charlène. "Ils sont plus réticents à accueillir un jeune. Les chiffres changent, mais nous ne ‘replaçons’ que 5 à 15 mineurs isolés par soir, contre 30 à 50 personnes pour les familles".
>> À Calais, des citoyens ouvrent leurs portes le
week-end pour héberger des migrants
Nicolas et sa compagne, Mélanie, qui hébergent ce soir-là la
famille afghane, n’ont, eux, aucune préférence. "Nous accueillons les jeunes,
les familles, peu nous importe", explique Nicolas après avoir fait entrer
Jawad et Niwab dans son appartement de Fontenay-sous-Bois. Malgré la barrière
de la langue, la fatigue, Mansour et Moustapha, leurs deux petits garçons, s’élancent vers le canapé en
riant. Les deux familles s’apprivoisent doucement.
Quotidiennement, le couple d’une trentaine d’années reçoit un texto pour lui demander s’il accepte, le soir même, de prendre quelqu’un. La réponse est presque toujours positive. Nicolas et Mélanie proposent leur deuxième chambre jusqu’à trois fois par semaine. Jawad et Niwab ne sont donc pas les premiers à franchir leur porte. Ces hôtes d'un soir qui affirment vouloir renouveler l’expérience autant que nécessaire, précisent que l’hébergement solidaire n’est pas seulement un acte politique ou militant, mais surtout citoyen. "On parle juste d’une nuit, c’est gérable", conclut Ncolas. "Et puis surtout, on ne laisse pas des gens dormir à la rue, c’est tout".
*Le local d'Utopia 56 se situe au 56 boulevard Ney, dans le 18e arrondissement. Métro : Porte de La Chapelle
**Pour devenir hébergeur citoyen et accueillir des jeunes mineurs isolés ou des familles, veuillez contacter Utopia 56 via sa page internet