Ibrahim est Malien, Djibril, Camerounais. Mardi 10 juillet, ils ont été arrêtés à Oran, en Algérie, puis expulsés du pays vers le Niger. Ils ont été contraints de traverser la frontière dans le désert à pied. Ils racontent à InfoMigrants leur calvaire.
Djibril est Camerounais. Mardi 10 juillet, il a été arrêté en pleine rue par les forces de l’ordre algériennes. La "rafle" dont il a été victime l’a traumatisé.
"Je me dirigeais ce matin-là vers le chantier sur lequel je travaillais. J’ai vu un car qui s’est arrêté devant moi. Trois policiers en civil en sont sortis. Tout s’est passé vite. Ils m’ont embarqué sans rien me demander. Je n’ai même pas eu le temps de m’enfuir.
Quand je suis monté dans le car, j’ai vu qu’il y avait d’autres personnes comme moi. Ils ont pris nos empreintes et nous ont dit qu’on allait se rendre à Tamanrasset. Le jour-même, on nous a mis dans des bus pour aller au sud de l’Algérie. Il y avait plusieurs bus et des centaines de personnes, des hommes, des femmes et des enfants".
Tamanrasset est à 2 000 km d’Oran. Les bus rouleront plusieurs jours avant d’atteindre le sud du pays.
Durant l’interview, Djibril passe le téléphone à Ibrahim, un Malien, un des migrants arrêtés le même jour que lui. Les deux hommes ont sympathisé. Ibrahim continue le récit de son compagnon d’infortune qui peine à parler de cet épisode douloureux.
"Quand nous sommes arrivés à Tamanrasset, trois jours s’étaient écoulés. C’était le soir. Nous sommes allés dans un camp de réfugiés. Il y avait des personnes du Croissant-Rouge. On nous a regroupés par nationalité, Camerounais avec les Camerounais, Maliens avec les Maliens, ainsi de suite.
Nous avons été très surpris par la violence. Il y avait des militaires et des policiers algériens sur place. Ils nous ont frappés avec des matraques. Ils nous ont traités comme des moutons. Même les femmes et les enfants ont été violentés.
Dans la nuit, ils nous ont mis dans des camions et nous avons roulé vers In Guezzam [la dernière ville algérienne avant la frontière avec le Niger]. Quand les camions se sont arrêtés, il faisait jour, nous étions vendredi. Ils nous ont fait descendre et ils nous ont dit qu’Assamaka était à 5 km. C’était faux."
Assamaka, la première ville nigérienne dans le désert, est à plus de 25 km de la ville algérienne d’In Guezzam.
"Il faisait tellement chaud. Des gens se sont évanouis en marchant dans le désert. Comment voulez-vous faire 25 km dans le désert sans eau ni nourriture ? Les gendarmes algériens sont des malfrats, ce qu’ils nous ont fait, c’est de la barbarie.
Moi, j’ai eu très mal aux pieds, j’avais les pieds très enflés. Quand ils m’ont arrêté à Oran, je portais des mocassins. J’ai gardé les mêmes chaussures… Traverser le désert avec des mocassins, c’est très dur. Les cailloux vous écorchent les pieds. J’ai mis environ 5 heures pour atteindre Assamaka. D’autres mettent 3 heures, les plus faibles mettent plus de temps.
Grâce à Dieu, dans le désert, nous avons croisé des véhicules qui ont accepté d’aider les plus faibles d’entre nous, des femmes et des enfants. Djibril et moi, nous avons tout fait à pied."
Arrivés au Niger, à Assamaka, le vendredi 13 juillet, les deux hommes sont pris en charge par les équipes de l‘Organisation internationale des migrations (OIM). Djibril et Ibrahim n’ont pas voulu aller jusqu’à Agadez pour être rapatriés chez eux. Deux jours après leur arrivée au Niger, ils ont repris la route vers l’Algérie. Ibrahim explique les raisons de son retour.
"Vous croyez que je n’ai pas compris ce qu’il vient de se passer ? J’ai bien compris. L’Algérie n’est pas une terre d’accueil. D’ailleurs, je n’ai jamais eu la paix là-bas. La police et les Algériens nous insultent souvent. Ils nous traitent de ‘singes’. Même les enfants nous agressent, ils nous lancent des cailloux… Mais ma famille est toujours à Oran. Toutes mes affaires sont aussi là-bas. Quand [les gendarmes] m’ont embarqué, je n’avais rien sur moi, ni argent, ni affaires. Je dois y retourner.
Je ne sais pas si je rentrerai à Gao, ma ville natale. C’est dangereux pour moi là-bas. Je n’ai pas non plus envie d’aller en Europe. Je ne sais pas quoi faire".