Le "foyer Bara", à Montreuil, en région parisienne. Capture d'écran d'une vidéo du maire de Montreuil
Le "foyer Bara", à Montreuil, en région parisienne. Capture d'écran d'une vidéo du maire de Montreuil

À Montreuil, en région parisienne, la mairie a réquisitionné des locaux pour reloger 150 immigrés d'un "foyer de travailleurs migrants" (FTM) nauséabond. Ce n’est pas la première fois que ces foyers sont pointés du doigt pour leur insalubrité. Comment fonctionnent-ils et pourquoi sont-ils toujours habités ?

"J'ai décidé de faire cette réquisition car la situation était totalement invivable pour ces hommes […] Des rats passent sur les gens qui dorment, des matières fécales tombent parfois du plafond lorsqu'ils prennent leur douche, c'est invivable, indigne". Voici les mots de Patrice Bessac, le maire de Montreuil en région parisienne, pour décrire le "foyer Bara", installé depuis des années dans sa commune.

Ce "foyer de travailleurs migrants" (FTM) insalubre abrite actuellement des centaines d’immigrés, essentiellement des Maliens, dont certains, les plus âgés, sont installés en France depuis de nombreuses années. Ulcéré par leurs conditions de vie indignes, Patrice Bessac a réquisitionné cette semaine des bureaux vides d’un bâtiment public de sa ville pour les abriter provisoirement.

Il y a deux ans, en décembre 2016, un autre FTM avait été pointé du doigt pour son insalubrité, cette fois-ci à Boulogne-Billancourt, à l’ouest de Paris. Après un dramatique incendie, un homme y avait perdu la vie en sautant du troisième étage. Le foyer boulonnais compte lui aussi des "anciens" travailleurs étrangers, dont certains ont travaillé sur les chaînes des usines Renault dans les années 1970 - aujourd’hui disparues.

Pourquoi ces locaux insalubres sont-ils toujours occupés ? "Parce que certains de leurs résidents y ont vécu une grande partie de leur vie. Ils y ont vieilli en même temps que les bâtiments", explique Gilles Desmuraux, délégué général de l’Unafo, union professionnelle du logement accompagné, spécialisé dans le logement social.

Les foyers de travailleurs migrants ont été construits dans les années 1950 - notamment par le biais de la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotral) - à proximité des bassins d’emploi industriels pour héberger la main d’œuvre étrangère venue aider à la reconstruction du pays après la Seconde guerre mondiale. Depuis 1995, face à leur manque d’entretien, leur manque de confort et leur vétusté, ils font l’objet d’une politique publique et sont destinés à être transformés en "résidences sociales". À terme, la catégorie même de "foyer de travailleurs migrants" est amenée à disparaître.

Des logements conçus pour être provisoires

"Les FTM ont été conçus pour des modes de vie semi-communautaires (salle de télévision commune, cuisine commune, laveries commune…). Depuis 1995 , ils ont été réaménagés de manière plus individuelle, avec des espaces privatifs, des nouvelles règles sanitaires...", explique Gilles Desmuraux. "Mais ces nouveaux aménagements mettent du temps à se faire. Et puis, il y a eu des réticences dans certains foyers qui étaient habitués à fonctionner en auto-gestion, selon les habitudes et les règles de leurs occupants".

À l’époque, en effet, dans les années 1960, les foyers ont abrité des travailleurs algériens, marocains, africains sahéliens, sans faire l’objet d’une attention particulière de la part de l’État. "Ces logements étaient conçus pour être provisoires. La France ne s’intéressait pas à leur confort mais à leur utilité. À l’époque, la France les avait construits pour des gens destinés à repartir."

Mais dans les années 1980, à la fin de la période des Trente glorieuses, certains ne rentrèrent pas au pays, ils ne cherchèrent pas non plus à quitter les foyers. "Quand l’immigration s’est tarie dans les années 1975, quand les titres de séjour ont été plus difficiles à obtenir, beaucoup d’immigrés sont rentrés dans leur pays, d’autres ont demandé le regroupement familial et ont trouvé un logement, mais quelques-uns sont restés dans les foyers, comme les Chibani", explique encore Gilles Desmuraux.

Incapables de faire venir une famille dont ils ne pourraient pas financièrement s’occuper, incapables aussi de rentrer au pays sans "réussite professionnelle", ces immigrés sont restés en France, seuls.

Les foyers mêlent ancien travailleurs immigrés et migrants sans papiers

"On pourrait se demander pourquoi ces vieux travailleurs immigrés ne rentrent pas dans leur pays. Pourquoi ils continuent de vivre dans des foyers, comme ceux de Montreuil, dans un état déplorable. Mais ce n’est pas évident de retourner au pays après 30 ans, 40 ans passés en France", continue Gilles Desmuraux. "Pour beaucoup, le foyer est devenu une maison, un lieu rassurant, peu cher, où ils peuvent vieillir tranquillement. Certains se font soigner en France, après des années de durs labeurs sur les chantiers. On les appelle les ‘reins cassés’. Ils sont âgés mais bénéficient ici d’une bonne couverture de santé".

Aujourd’hui, il resterait une centaine de FTM encore non-réhabilités en "résidences sociales". Difficile pour autant de déserter ces lieux vétustes où viennent aussi des jeunes migrants en situation irrégulière. C’est le cas du "foyer Bara" à Montreuil où cohabitent des vieux travailleurs immigrés et de jeunes sans-papiers.

"Ces primo-arrivants rejoignent un oncle, un cousin qui est en France depuis très longtemps. Il y aussi des familles qui arrivent", conclut le délégué général de l’Unafo. Ces endroits ne sont "évidemment" pas adaptés à ce public. "L’immigration n’est plus la même que celle des années 1950. Aujourd’hui, l’Europe fait face à des personnes qui fuient des guerres, des conflits. Ces réfugiés viennent avec une logique d’installation durable dans le pays. Les ‘foyers de travailleurs’ ne sont pas conçus pour les accueillir sur le long-terme".

 

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