De plus en plus de migrants originaires de l’Afrique des Grands Lacs et de l’Afrique de l’Ouest passent par Mayotte pour rejoindre la France métropolitaine. Une stratégie visant à éviter la traversée de la Libye et les risques de noyade en Méditerranée.
Le nombre de migrants en provenance de l'Afrique des Grands Lacs (RDC, Burundi, Rwanda) a doublé à Mayotte depuis trois ans. Sur 839 demandes d'asile déposées en 2018, 511 concernaient des personnes originaires des Grands Lacs d’après la préfecture. "Même si la part des migrants originaires d'Afrique continentale représente moins de 2% du total à Mayotte, la hausse est continue depuis 2015", indique la préfecture.
Situé à quelques kilomètres des côtes tanzaniennes, ce département français de l’archipel des Comores est perçu comme une porte d’entrée vers l’Europe pour ceux qui cherchent à éviter de passer par la Libye et de traverser la Méditerranée. "Les pourtours de l’Union européenne, par la Libye et la Turquie se ferment. Conséquence : une troisième voie d’accès se crée par Mayotte à travers des réseaux constitués", constate Romain Reille de l'association Solidarité Mayotte.
"Lorsqu’ils arrivent ici, certains [migrants issus de la région des Grands Lacs] ne savent même pas qu’ils sont à Mayotte. Ils pensent être arrivés en France métropolitaine. Les passeurs leur avaient promis la France, ils ne s’attendaient pas à ça", raconte la Cimade, qui a recueilli d’autres témoignages sur place.
Des migrants de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso et du Cameroun
De fait, Mayotte constitue une porte d’entrée vers la France métropolitaine puisque l’île est un territoire français. Les migrants d’Afrique continentale viennent y déposer leur demande d’asile. Une grande partie d’entre eux, les deux tiers environ, obtiennent une protection, selon la préfecture. "À plus de 95%, dès qu’ils ont obtenu l’asile, les réfugiés quittent Mayotte pour rejoindre la France continentale", constate encore Solidarité Mayotte.
Aux migrants originaires de l’Afrique des Grands lacs, se sont joints récemment des Ivoiriens, des Burkinabès et des Camerounais. Ils traversent le continent africain dans la diagonale pour rejoindre Mayotte et éviter la route libyenne.
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La dangereuse traversée de l’Océan indien
Pour la plupart, ces migrants issus du continent rejoignent d’abord les Comores, plus particulièrement l’île d’Anjouan située à 70 kilomètres des côtes de Mayotte. La traversée se fait ensuite de nuit, sur des "kwasa kwasa", aux côté de nombreux migrants comoriens. Ces embarcations précaires, souvent des barques de fortunes en taule, sont particulièrement dangereuses lorsqu’elles sont surchargées.
"Des catastrophes arrivent quasiment toutes les semaines", explique Romain Reille. D’après les autorités comoriennes, en 20 ans au moins 12 000 personnes auraient péri dans le canal du Mozambique, qui sépare la côte anjouanaise de Mayotte. Un rapport sénatorial datant de 2012 fait état de 7 000 à 10 000 morts à Mayotte depuis 1995.
D’autres migrants arrivent par Madagascar, sur de plus gros kwasa. Ils parcourent 350 kilomètres dans l’Océan Indien avant de débarquer à Mayotte.
Pas les mêmes droits qu’en France métropolitaine
Sur l’île, les conditions de vies sont difficiles. Les demandeurs d’asile ne sont pas pris en charge de la même manière car le dispositif d’asile français ne s’applique pas intégralement à Mayotte. "Sur le plan de l’hébergement, Mayotte ne possède pas de CADA . Côté financier, il n’y a pas d’allocation temporaire d’attente (Ata) le temps de l’instruction des dossiers par l’Ofii. Et concernant la santé, "l’AME ne s’applique pas ici", relève Romain Reille.
"Résultat, on constate qu’il y a beaucoup de misère sociale, des bidonvilles, de la vente à la sauvette et de la prostitution", déplore Solidarité Mayotte. L’association vient plus particulièrement en aide aux migrants du continent dont les dossiers tombent sous le coup d’une demande d’asile. Elle propose 55 places d’hébergements mais s’inquiète du nombre croissant d’arrivées malgré le renforcement des contrôles en mer. Le nombre de migrants du continent arrivé en janvier 2019 a doublé par rapport à l’an dernier à la même date.
La multiplication des arrivées génère des tensions intercommunautaires sur l’île, où 40% de la population est étrangère, principalement comorienne. Les Comoriens, mais aussi les Africains du continent en font les frais. Les incidents se multiplient entre population locale et migrants. Dernier en date, en mars 2018, des collectifs d’habitants ont organisé des rondes anti-migrants et des "décasages", sortes de raids au cours desquels ils chassent les migrants de leurs logements.