Un migrant blessé dans les quartiers nord de Marseille. Crédit : photo transmise par Me Victor Gioia
Un migrant blessé dans les quartiers nord de Marseille. Crédit : photo transmise par Me Victor Gioia

Pour dénoncer “l’inaction de la police”, un avocat marseillais a décidé de porter plainte contre les forces de l’ordre après qu’une dizaine de migrants a été attaqué par les milices d’un réseau mafieux nigérian dans les quartiers nord de Marseille.

Prostitution, racket, trafic de drogues et tentatives d’assassinat à la machette : une dizaine de plaintes auraient été déposées ces derniers mois par des migrants victimes d’un réseau mafieux implanté dans une cité du 14e arrondissement de Marseille, dans le sud-est de la France.

“Je vois défiler dans mon bureau des gens mutilés à coups de machette, des migrants livrés à eux-mêmes et terrorisés. Ils se cachent sous des ponts ou dans des caves pour échapper à leurs bourreaux. Et que fait la police ? Personne ne bouge ! Lorsque, par miracle, elle se déplace, c’est 4h après qu’on l’ait appelée !”, s’exclame Me Victor Gioia, avocat au barreau de Marseille, joint par InfoMigrants.

Originaire des quartiers nord, l’homme qui accompagne des habitants de la cité Corot depuis des années a décidé de porter plainte contre la police afin de dénoncer “son indifférence et son inaction”. Il invoque la "violation de l'article 40 du nouveau Code de Procédure Pénale" qui prévoit que les autorités se doivent d’agir lorsqu’elles sont confrontées à une infraction.

"La mafia africaine des bérets"

Selon lui, la passivité des forces de l'ordre permet à l’organisation mafieuse installée sur place depuis environ l’été dernier d’opérer en toute impunité. Il s’agit d’un réseau prenant racine au Nigeria et qui se fait appeler "la mafia africaine des bérets", précise-t-il. “On ne sait pas grand-chose d’eux. Quelques photos circulent, lorsqu’on les montre aux gens, ils sont tétanisés. Les milices du réseau tombent à bras raccourcis sur les filles pour les prostituer. Elles forcent aussi les jeunes hommes à dealer ou voler sinon ils sont battus”, raconte Me Gioia.

S’ajoutent les escrocs “qui se font passer pour des propriétaires avec de faux policiers : ils demandent des loyers aux migrants squatteurs, ils confisquent leurs papiers etc. Le quartier est totalement hors de contrôle. Tout le monde espère entendre les sirènes de police qui se font attendre désespérément”, regrette l’avocat.

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Propriétaire de plusieurs biens dans la cité Corot, Mathieu* confirme le désarroi des habitants et des migrants. Depuis l’été dernier, il loue des appartements à des demandeurs d’asile qui ne parvenaient pas à se loger à Marseille. “J’ai été témoin de passages à tabac, d’agressions, de vols… On n’avait jamais vu ça avant. Il y a un an on avait déjà un réseau mafieux, c’était des Albanais, ils étaient très organisés. On a eu des problèmes mais cela n’a encore rien à voir avec la situation actuelle qui part dans tous les sens. Aujourd’hui c’est la loi du plus fort et du plus intimidant”, confie-t-il à InfoMigrants. “Il y a 15 jours, un des migrants s’est même fait courser par un homme avec une machette. Lui et sa famille ont dû quitter leur appartement sous peine d’être tués”.

Pour beaucoup, les ennuis commencent dès l’Afrique, raconte Mathieu. “Ils fuient le Nigéria parce qu'ils ont des problèmes avec la mafia puis, une fois à Marseille, ils sont retrouvés par des membres de cette même mafia, via les réseaux sociaux. Lorsqu’ils refusent de tremper dans les trafics, ça se passe très mal.” Régulièrement, Mathieu et les autres copropriétaires - de plus en plus inquiets par cette escalade de violence- incitent les migrants à porter plainte. “Mais ça ne mène à rien. Ils nous répondent qu’en France on peut faire ce que l’on veut, qu’aucun mafieux n’a été arrêté depuis cet été”.

Trois plaintes enregistrées, des enquêtes ouvertes

Contactée par InfoMigrants, la Direction Départementale de la Sécurité Publique (DDSP) reconnaît l’existence d’une communauté nigériane problématique ayant “trouvé refuge dans un bâtiment désaffecté” de la cité Courot. “Le terme ‘réseau’ ou ‘mafia’ est un peu fort”, nuance-t-elle toutefois. Et de préciser : “Nous avons à ce jour reçu trois plaintes par des migrants pour des faits de violences volontaires avec ou sans machettes. Nous avons reçu les victimes, leurs plaintes ont bien été enregistrées et elles ont été accompagnées dans leur suivi médical.”

La DDSP se dit surprise par les allégations de Me Gioia selon lesquelles au moins une dizaine de plaintes ont été déposées. Elle affirme traiter ces dossiers avec sérieux. “Des enquêtes ont été ouvertes. Nous avons mis en place un suivi classique avec exploitation d’éléments de vidéo-surveillance. Nous avons aussi envoyé des patrouilles sur place, mais elles ne sont pas parvenues à des interpellations”.

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Mais pour Me Gioia, l’heure n’est plus au rassemblement de preuves, celles-ci étant déjà “omniprésentes”, ni à l’ouverture d’une enquête. “Il faut un vrai coup de filet, comme en Italie”. “La répression y est bien plus présente et cela envoie le message que les mafias ne peuvent pas agir en toute impunité. Tandis qu’à Marseille personne n’est inquiété”.

L’avocat continue actuellement de compiler les plaintes et les témoignages. Après avoir reçu une quinzaine de migrants mardi, une dizaine d’autres doivent se présenter à son cabinet jeudi. Il compte, en parallèle, rassembler d’autres confrères autour de lui pour l’aider dans cette affaire tentaculaire qui, dit-il, n’en est qu’à ses prémices.

*Le prénom a été modifié

 

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