Après avoir été débouté de sa demande d’asile, Hassan, un Afghan, passe devant la CNDA pour demander un réexamen. Face au juge, son avocate plaide l’appartenance à la communauté Hazara, menacée par les Taliban en Afghanistan.
*Depuis la publication de cet article, InfoMigrants a reçu des nouvelles de Hassan : la CNDA lui a accordé le statut de réfugié.
Dans la salle d’attente de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), Hassan attend son passage devant le juge depuis plus d'une heure. Il y a beaucoup de monde. D’autres Afghans patientent, mais aussi une famille albanaise avec un nourrisson qui réclame son biberon et un jeune malien accompagné par sa famille d’accueil en France… Difficile de se concentrer avant son passage devant la cour. Les avocats en robe vont et viennent. La plupart des audiences prennent du retard. Par moment, Hassan ferme les yeux pour se reposer un peu dans ce brouhaha permanent. Il est arrivé deux jours avant à Paris, par train depuis le CADA de Malijai, situé à proximité d’Aix-en-Provence. Il a financé lui-même son billet et loge chez des amis afghans à Paris.
La veille de son audience, il a rencontré pour la première fois son avocate, Maître Aude Rimailho dans son cabinet parisien. Elle lui a été recommandée par un autre ami migrant. Il n’a pas eu à la payer car il a eu droit à l’aide juridictionnelle totale. Ce rendez-vous, lors duquel l’avocate a préparé Hassan aux questions que la Cour pourraient lui poser, a été utile. L’entretien a été l’occasion de mieux décrypter la décision de rejet de sa demande d’asile par l’Ofpra. Dans le cas de Hassan, les agents de l’Ofpra lui ont donné des indications détaillées.
La CNDA suit "une jurisprudence fluctuante sur les Hazaras"
Ils lui reprochent de manquer de précisions sur son récit. "Hassan n’a pas assez expliqué les raisons pour lesquelles lui se trouvait sur une route précise [en 2015 en Afghanistan]. Il savait que c’était dangereux. Les routes étaient très dangereuses pour tout le monde à cette période-là", explique Aude Rimailho qui liste les propos n’ayant pas convaincu l’Ofpra.
Hassan a fui l’Afghanistan en 2016 après avoir été enlevé par les Taliban sur une route reliant sa région d’origine, la province de Ghazni, à Kaboul. Il avait choisi cet itinéraire pour aller vendre des peaux de bêtes lui assurant un revenu de base dans la capitale afghane.
"Les circonstances de son arrestation, ses déclarations se sont révélées insuffisantes", écrit l’office dans sa lettre de refus. "Ça veut dire qu’ils considèrent que le récit de sa capture n’était pas assez précis", traduit l’avocate. "Il n’a pas convaincu non plus l’Ofpra sur son lieu de détention ni sur la manière dont il s’est enfui concrètement", ajoute-t-elle encore. Ce sont ces points qu’elle souhaiterait éclaircir avec Hassan en vue de son audience devant la CNDA.
Autre détail qui a son importance et sur lequel l’avocate compte bien insister devant la Cour : Hassan appartient à la communauté Hazara, une ethnie minoritaire et persécutée en Afghanistan. En Afghanistan, les Hazara sont menacés de mort par les Taliban, particulièrement dans la province de Ghazni.
Le problème, à en croire l’avocate, c’est que la CNDA suit une jurisprudence fluctuante sur les Hazaras. "Auparavant, le fait d’être Hazara était suffisant pour obtenir une protection subsidiaire mais ça n’est plus le cas depuis juillet 2018, où une jurisprudence a décrété qu’ils n’étaient plus systématiquement ciblés par les Taliban. Or cette jurisprudence se base sur un rapport datant de 2017 alors qu’on est en 2019", regrette Aude Rimailho.
C’est pourquoi l’avocate a fait ajouter au dossier de son client une série d’articles de la presse française témoignant de la recrudescence de violences ciblées contre les Hazaras dans la province de Ghazni depuis 2018. Elle espère que ces coupures de presse seront prises en compte par la CNDA, ce qui n’est pas toujours le cas.
Le résumé du rapporteur donne le ton de l’audience
De son côté, Hassan se sent prêt. Il s'est bien préparé avec Aude Rimailho la veille. Ça n’est pas le cas de tous les demandeurs d'asile. Dans la salle d’attente, d’autres avocats rencontrent leurs clients à la dernière minute.
Le passage devant le juge est un moment difficile, explique Aude Rimailho. "Le requérant peut se sentir oppressé si le ton du magistrat est déstabilisant, sec ou agressif, ce qui est parfois le cas".
Après deux heures d'attente, c’est finalement au tour de Hassan. Une secrétaire d’audience vient l’appeler dans le couloir. Dans la salle d’audience l’attendent le juge, la secrétaire d’audience et une rapporteure. Hassan est en procédure accélérée . Dans le cas d’une procédure classique, il y a trois juges.
La rapporteure prend la parole la première pour résumer le dossier de Hassan auprès du magistrat. Elle y ajoute des éléments de contexte, notamment en ce qui concerne la fuite de Hassan de son pays. Elle cite les articles de presse ajoutés au dossier par l’avocate et insiste sur les dangers de mort pour les Hazara.
Elle donne le ton de l'audience et facilite le travail du juge. Dans le cas de Hassan, la rapporteure semble estimer que ses propos sont cohérents. Mais elle demande au plaignant de préciser certains points : d'où vient sa femme ? Où s'installerait-il en cas de retour ? Quel était son travail ? Participait-il à des comités d'auto-défense des Hazaras ? Autant de questions pour aider le juge à prendre sa décision.
Une audience à huis clos
C’est justement au tour du juge de prendre la parole. Le brouhaha qui s’élève du couloir est tellement fort, que celui-ci préfère demander le huis clos de la séance, pour se concentrer sur les paroles de Hassan. Tout public présent doit alors quitter la salle d’audience, y compris l’équipe d’InfoMigrants, contrainte d’attendre dans le couloir. À l’intérieur ne restent que Hassan, l’avocate et le traducteur assermenté par la cour.
Une demi-heure plus tard, ils sortent tous de la salle avec le sourire. Le juge n’a finalement posé presqu'aucune question. "Il a interrogé Hassan pour la forme", estime Aude Rimailho, satisfaite. Le magistrat lui a demandé des précisions sur l’argent qu'il avait sur lui au moment où les Taliban l’ont arrêté. Le juge a aussi voulu en savoir plus sur une précédente demande d’asile effectuée par Hassan en Allemagne et dont il a été débouté.
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"Hassan a mis du temps avant de se sentir à l’aise,
pourtant le ton du magistrat n’était pas déstabilisant", raconte son avocate.
Elle explique que ce n’est qu’au bout de la troisième question, qu’il s’est mis
à dérouler son récit avec beaucoup plus de fluidité. Hassan et son avocate ont également été rassurés par l’exposé de la rapporteure,
parce qu’elle a précisé que les Hazaras étaient en danger en cas de retour en
Afghanistan.
"J’ai plaidé comme si c’était acquis tout en assumant les zones d’ombre du dossier", se réjouit Aude Rimailho. Le juge a-t-il été convaincu ? La décision de la CNDA est attendue pour le 25 avril.