Depuis les combats meurtriers entre milices à Tripoli, en Libye, la Tunisie voisine craint la venue massive de migrants sur son sol. Dans la région de Médenine, frontalière de la Libye, des dizaines de migrants arrivent quotidiennement depuis quelques jours, s’alarme le Croissant-Rouge.
Mardi 30 avril 2019, à l’occasion d’une conférence de presse à Tunis, le Premier ministre tunisien s’est inquiété publiquement d'une hausse des arrivées de migrants depuis la Libye voisine. "Nous craignons que l'expérience de 2011, avec l'arrivée de réfugiés vers la Tunisie, se renouvelle", a déclaré Youssef Chahed.
Depuis la reprise de violents combats, au début du mois d'avril, entre le gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj et l’armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar, la Tunisie voit arriver plus de migrants sur son sol. Il faut dire que la situation sur place est catastrophique. Depuis le 4 avril, au moins 278 personnes ont été tuées et 1 332 ont été blessées, selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Tripoli n’est qu’à une centaine de kilomètres de la frontière. La Tunisie est donc perçue comme un refuge proche. "Ce pays est synonyme de stabilité et de sécurité pour nous", confie Kassoum, un migrant ivoirien, qui est arrivé récemment dans la région de Médenine. "Je travaillais vers Sabratah [à l’ouest de Tripoli] depuis quelques temps, mais à cause des violences, j’ai décidé de traverser la frontière. J’ai payé un passeur pour éviter de me faire arrêter et j'ai réussi à entrer en Tunisie".
"J'ai traversé la frontière à pied avec un plan"
Même son de cloche de Solomon, un migrant érythréen, aujourd’hui réfugié à Tunis. En avril 2019, "quand la guerre a commencé, beaucoup d’Érythréens ont fui les combats et les centres de détention [qui avaient été abandonnés par les gardiens, ndlr]. Ils voulaient sauver leur vie", confie-t-il. "Je me suis enfui vers Zouara, puis après avoir eu d'autres problèmes avec des Libyens, j’ai pris le chemin de la Tunisie, j’ai traversé la frontière à pied avec un plan et une boussole".
Sur le terrain, dans la région de Médenine, le Croissant-Rouge tunisien - qui vient en aide aux demandeurs d'asile - a constaté une augmentation des arrivées de migrants érythréens et soudanais notamment. Et l'ONG s'inquiète. "Depuis une quinzaine de jours, nous voyons de plus en plus de migrants. Ce n’est pas encore un afflux massif, mais on note une nette augmentation. Hier [mercredi 8 mai], nous avons eu l’arrivée de 18 personnes. Avant, les arrivées tournaient autour de 5 à 10 personnes par jour. Aujourd’hui, on assiste à l’arrivée de 20 personnes par jour", déclare Mongi Slim, un des responsables de l’ONG, contacté par InfoMigrants.
Le Croissant-Rouge n'arrivera pas à subvenir aux besoins d'une nouvelle vague de migrants. "Nous avons environ 400 places dans la région de Médenine. Elles sont toutes occupées. Nous sommes déjà en surcharge, en surégime, ici. Ça va être compliqué à l’avenir si les arrivées continuent à ce rythme". Mongi Slim réclame notamment une aide supplémentaire du Haut-commissariat des réfugiés des Nations unies (HCR) et de l’OIM - qui, elle, "n'a pas noté d'augmentation particulière".
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découragement des migrants "abandonnés" de Médenine
Contrôles renforcés à la frontière
Selon lui, le flot d’arrivées ne devrait pas se tarir. "Les migrants qui arrivent nous ont confié que 'tout le monde voulait entrer en Tunisie'" pour se mettre à l’abri des combats, ajoute Mongi Slim.
Pour mieux contrôler sa frontière, la Tunisie a déployé des renforts militaires. "La situation en matière de sécurité en Libye est très préoccupante, nous restons extrêmement prudents," a encore déclaré le Premier ministre tunisien, très inquiet à l'idée de l'arrivée de potentiels "terroristes" en Tunisie.
"Les contrôles sont renforcés mais la frontière reste une zone désertique de plus de 500 km", précise de son côté Mongi Slim du Croissant-Rouge. 'Il est possible de la traverser et de passer sans se faire intercepter". C’est le cas de Solomon et Kassoum. "Ce n’est pas simple de passer, il y a la Garde nationale tunisienne d’un côté et la police libyenne de l’autre. Ils patrouillent souvent… Mais on y arrive", précise Kassoum.
Le Croissant-Rouge affirme que de nombreux libyens traversent également la frontière. A l’instar des migrants, les famille libyennes cherchent un refuge loin des combats. "De plus en plus de voitures passent la frontière", a noté Mongi Slim ces derniers jours. "Je reconnais les plaques d'immatriculation. Ce sont des personnes qui ont des moyens, généralement. Elles fuient l’insécurité et se dirigent vers Zarzis ou vers Djerba et elles louent des maisons."