Des migrants autour d'un feu dans le nord de Paris en janvier 2019. Crédit : InfoMigrants
Des migrants autour d'un feu dans le nord de Paris en janvier 2019. Crédit : InfoMigrants

Les procédures de demande d’asile en France et en Europe sont généralement longues et éprouvantes. Il existe toutefois dans l'Hexagone une procédure dite accélérée qui permet d’obtenir une réponse en quelques semaines. Nombre d’associations dénoncent un traitement bâclé des dossiers. Mais qu’en est-il vraiment ? InfoMigrants fait le point.

  • Qu’est-ce que la procédure accélérée de demande d’asile ?

En France, en 2018, le délai de traitement des premières demandes d’asile en procédure normale était de 131 jours en moyenne. Mais pour certains faisant l’objet d’une procédure accélérée, l’attente est beaucoup plus courte : seulement 15 jours voire 96 heures lorsque le demandeur d'asile est placé en centre de rétention administrative.

Comme pour la procédure dite normale, c’est l’Ofpra qui instruit les demandes en procédure accélérée. En 2018, l’institution en a dénombré 37 759 (sur plus de 120 000 demandes), soit une hausse de 19,6 % par rapport à l’année précédente.

Part des procédures accélérées de demandes d'asile dans la demande globale annuelle depuis 2004 en France. Crédit : Ofpra
  • Dans quels cas fait-on l’objet d’une procédure accélérée ?

Il existe deux cas pour lesquels le placement d'une demande d'asile en procédure accélérée est automatique :

1/ Lorsque le demandeur d'asile est originaire d’un pays considéré comme sûr. La liste desdits pays peut être consultée sur le site de l’Ofpra. L’Albanie, le Sénégal ou encore le Ghana en font partie.

2/ Lorsque le demandeur d'asile a effectué une première demande d’asile ayant été définitivement rejetée et qu'il demande son réexamen.

D’autres cas de figure autorisent le guichet unique à placer un demandeur d’asile en procédure accélérée :

- Lorsque le demandeur refuse que ses empreintes digitales soient relevées.

- Lorsque le demandeur tente de frauder en fournissant par exemple de faux documents, en dissimulant certaines informations ou encore en présentant plusieurs demandes sous des identités différentes.

- Lorsque le demandeur a attendu plus de 120 jours depuis son arrivée en France avant de demander l’asile.

  • Quelles sont les nationalités les plus concernées par les procédures accélérées ?

Selon le rapport 2018 de l’Ofpra, l’Albanie arrive en tête avec 19,7% des procédures accélérées, suivie par la Géorgie (16%), puis par l’Arménie (5,5%), l’Afghanistan (4,9%) et le Sénégal (4,8%). Tous ces pays - à l’exception de l’Afghanistan - sont considérés par la France comme sûrs.

Premières demandes en procédure accélérée par nationalité en 2018 en France. Crédit : OfpraLa raison pour laquelle les Afghans sont si nombreux à passer en procédure accélérée “c’est parce qu’ils ne s’agit souvent pas de leur première demande en Europe. Ils vont souvent d’abord en Suède ou en Allemagne”, explique à InfoMigrants Aude Rimailho, avocate au barreau de Paris. Elle accompagne de nombreux demandeurs d’asile, principalement à la CNDA.

“Une fois à Calais, ces mêmes Afghans se retrouvent à devoir déposer une nouvelle demande en France alors que la plupart du temps ils souhaitaient rejoindre l’Angleterre”, poursuit l’avocate. “À une période, nous avions aussi un certain nombre de Soudanais en procédure accélérée car ils refusaient de donner leurs empreintes ou bien se mettaient de la colle sur les doigts pour qu’elles soient illisibles”, ajoute-t-elle.

  • J’ai été débouté en procédure accélérée, puis-je faire appel ?

Oui, l’appel auprès de la CNDA reste possible mais les conditions diffèrent. Si vous êtes en procédure normale, vous serez entendu à la CNDA par trois juges dans les cinq mois suivant l’enregistrement du recours.

Tandis que si vous êtes en procédure accélérée, vous serez entendu à la CNDA par un seul juge dans les cinq semaines suivant l’enregistrement du recours. Ce qui laisse beaucoup moins de temps pour se préparer, rassembler les documents nécessaire ou encore les faire traduire.

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  • La procédure accélérée est-elle une aubaine ou une mesure punitive ?

Les associations d’aide aux migrants sont nombreuses à s’élever contre les procédures accélérées estimant que l’instruction des dossiers risque d’être bâclée, voire expéditive. “Si vous faites l’objet d’une procédure accélérée, nous vous conseillons de vous rendre dans la plateforme la plus proche afin d’obtenir de l’aide”, écrit France Terre d’Asile sur son site. Pour La Cimade, “les procédures accélérées n’ont rien de bon, on en demande d’ailleurs la suppression. La réduction des délais se faisant au détriment des droits des personnes”, commente une porte-parole à InfoMigrants.

“Techniquement, on peut considérer que les procédures accélérées sont effectivement une punition. Les conséquences se voient surtout à la CNDA, lorsqu’un débouté fait appel”, note Aude Rimailho. En effet, contrairement à un demandeur d’asile classique qui aurait plus de temps pour constituer son dossier de défense et rassembler des preuves, le débouté en procédure accélérée qui dépose un recours à la CNDA ne sera entendu que par un seul juge, contre trois dans la procédure normale. Le verdict est rendu sous cinq semaines.

Avec la nouvelle loi Asile & Immigration adoptée à l’automne dernier, se pose un autre problème, d’après Aude Rimailho : “Les personnes qui sont en procédure accélérée sont susceptibles de se voir refuser le séjour. Malgré le récépissé qui leur est délivré en attendant leur audience à la CNDA, une OQTF peut être donnée”, affirme l’avocate. “Un faux garde-fou a été instauré : à savoir un délai de 15 jours pour contester l’OQTF. C’est bien trop court, il faut être extrêmement réactif”.

>> À (re)lire sur InfoMigrants : France : la loi Asile et Immigration adoptée, qu’est ce qui va changer ?

Aude Rimailho tient toutefois à souligner que les procédures accélérées ne débouchent pas toutes forcément sur des rejets. “Pour les personnes originaires des pays sûrs, c’est quasiment impossible. En revanche, en ce moment, la conjoncture est favorable pour les Afghans qui ont un bon taux de réussite à la CNDA. Dans ces cas-là, la procédure accélérée n’est pas une punition. Bien au contraire, elle met fin pour beaucoup à des années d’errance et d’itinérance”, estime-t-elle.

  • Puis-je repasser en procédure classique après avoir été placé en procédure accélérée ?

Il peut arriver que l’Ofpra décide de lever la procédure accélérée par exemple pour les membres d’une même famille. “J’ai déjà eu deux frères dont l’un était en procédure normale et l’autre en accélérée. Ils ont finalement été jugés tous les deux en procédure normale”, explique Me Rimailho.

Lorsque l’on découvre qu’un dossier est plus compliqué qu’il n’y paraît ou que des problèmes de santé entrent en jeu, le demandeur peut aussi repasser en procédure normale sur décision de l’Ofpra. “Il m’est arrivé d’avoir un client avec une double nationalité, un pays sûr et l’autre non. Le dossier nécessitait d’être approfondi, le client est donc repassé en procédure normale”, ajoute l’avocate.

Selon le rapport 2018 de l’Ofpra, l’année dernière, 24 demandes d’asile déposées dans le cadre de la procédure accélérée ont été déclassées en procédure normale.

 

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