Dans la petite commune de Sainte-Agnès, dans les Alpes-Maritimes, un centre pour migrants mineurs doit voir le jour au mois d’août. Les associations d’aide aux migrants déplorent toutefois une situation géographique trop isolée pour des jeunes livrés à eux-mêmes, et un manque de préparation de la population.
Début juillet, le tribunal administratif des Alpes-Maritimes a tranché une affaire vieille de plusieurs mois : un centre d’accueil pour migrants mineurs ouvrira bel et bien ses portes dans la commune de Sainte-Agnès, contre l’avis du maire du village qui avait déposé un recours. Selon l’édile Albert Filippi, entre 75 et 150 lits vont être mis à disposition des migrants dans cet ancien centre de loisirs dès le mois d’août. Un centre à grosse capacité donc, qui ne ravit pourtant pas davantage les membres des associations locales d’aide aux migrants.
“Le lieu n’est pas équipé pour accueillir des mineurs. Il n’y a pas d'activité prévue, pas de cours de français, rien…", s'inquiète David Nakache, président de l’association Tous citoyens, joint par InfoMigrants. "C’est la chronique d’un échec annoncé.” InfoMigrants n’a pu obtenir de détails ni de la préfecture des Alpes-Maritimes, qui a exigé l’ouverture de ce centre, ni du conseil départemental. Christine Poupon, de l’association Relais réfugiés, dénonce également une décision incohérente. “Sainte-Agnès est un village charmant avec des balcons typiques de la région, certes, mais il n’y a rien à y faire. Mettre là-bas quelque 70 jeunes, de différentes ethnies en plus, est un peu une hérésie.”
En 2015, Sainte-Agnès, située à 10 kilomètres de Menton et environ une heure de route de Nice, avait déjà accueilli un groupe de migrants. Cela avait à l’époque “posé des problèmes”, racontent à InfoMigrants plusieurs sources. Le maire de la commune parle notamment de jeunes hommes migrants importunant des jeunes filles du village. Pour d’autres, les migrants, livrés à eux-mêmes, traînaient simplement dehors. “Rien de bien méchant mais, vous savez, les gens se font vite des mauvaises idées”, explique Christine Poupon. “Le problème, c’est que rien n’est mis en place pour préparer la population locale à accueillir ces personnes.”
Crainte de refoulements systématiques à la frontière
Pour cette militante, la zone géographique excentrée de la commune est un problème majeur. “Ces jeunes seront très isolés : il n’y a qu’un bus par jour pour Menton. Pour peu qu’ils aient des démarches à faire, ou qu’ils doivent décrocher un emploi en apprentissage, ils ne vont pas avoir beaucoup d’opportunités.”
Par ailleurs, la proximité de la bourgade d’environ 1 200 habitants avec la frontière italienne éveille les soupçons des membres associatifs. “Nous craignons que ce centre ne serve de mise à l’abri dans l'attente de leur évaluation de minorité et que ces jeunes, s'ils sont déclarés majeurs, ne puissent pas faire valoir leurs droits de recours et soient refoulés systématiquement à la frontière", avance David Nakache, qui rappelle que des refoulements abusifs sont déjà survenus par le passé dans les Alpes-Maritimes.
"On redoute que ces jeunes n’aient pas la possibilité de déposer un recours contre la décision de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) au cas où cette dernière refuserait de reconnaître leur minorité", poursuit David Nakache. "Il n’y a de toute façon pas de possibilité matérielle de recours à Sainte-Agnès : concrètement, comment peuvent faire ces jeunes pour se rendre à Nice aux horaires de bureaux, sans moyens de déplacements et souvent sans comprendre la langue française ?”
“On a l’impression, à Valbonne et à Sainte-Agnès, qu’on crée des ghettos”
L'ouverture prochaine de ce centre à Sainte-Agnès survient alors qu'un autre établissement de la région, le foyer des Pins à Valbonne, présente déjà des problèmes de dysfonctionnement. Dans cette commune située à une trentaine de kilomètres de Nice, la prise en charge de 77 migrants est un “fiasco”, titrait Nice-Matin en février. “Direction débordée, éducateurs non formés, migrants trop nombreux”, “bagarres”, “désœuvrement”, énumère ainsi le quotidien.
“Ces gros centres, ce sont des lieux propices au pourrissement de la situation", assène Christine Poupon. “Pourquoi les migrants sont-ils dans ce genre d’endroit ? À partir du moment où ces jeunes ont été reconnus mineurs, ils doivent être traités comme des enfants et, donc, être hébergés dans des foyers de bien plus petite taille. On a l’impression, à Valbonne et à Sainte-Agnès, qu’on crée des ghettos.”
Le 4 juillet dernier, des violences entre pensionnaires et éducateurs ont éclaté à Valbonne, à l'issue desquelles trois migrants ont été envoyés en détention provisoire.