Chaussures, boîtes de sardines, gobelets, gilets de sauvetage : une association à Lampedusa récupère les objets abandonnés par les migrants dans leurs embarcations de fortune pour les exposer et rendre hommage à ceux qui risquent leurs vies pour arriver en Europe.
Tout a commencé à la décharge de Lampedusa. C’est là qu’un jour l’artiste et activiste Giacomo Sferlazzo trouve un grand sac poubelle rempli d’objets ayant appartenu à des migrants arrivés sur l’île : des lettres, des photos, des textes religieux, des disques de musique...
"Cela a été un tournant, parce que c’était comme de toucher l’Histoire de mes mains", explique l’Italien, qui a fait cette découverte avec d’autres amis de son association Askavusa. "Nous avons réalisé la valeur des ces objets, puis nous nous sommes rendus quasiment tous les jours à la décharge pour voir s’il y avait encore des choses à trouver."
C’est ainsi qu’est née l’idée de créer un musée pour rendre compte du passage des migrants sur l’île italienne. Lampedusa est depuis des décennies un lieu de transit sur la route migratoire. Par le passé, les migrants arrivaient sur des grands bateaux surchargés. Mais ces dernières années, ces bateaux ont été remplacés par de plus petites embarcations qui se font intercepter par les gardes-côtes italiens ou d’autres navires militaires avant d’être ramenés sur l’île.
Une fois à quai, les canots des migrants sont confisqués par l’armée. À l'intérieur, se trouvent souvent toutes sortes d'objets abandonnés par les rescapés.
Comme les autorités locales manquent de temps et d’argent pour les retaper, les embarcations confisquées finissent par se retrouver entassées dans deux décharges informelles. L’une se trouve près du port, l’autre dans la partie ouest de l’île, à proximité d’une ancienne zone militaire.

Certains objets visibles dans le musée Porto M n’ont pas seulement été récupérés à Lampedusa. Certains proviennent de la région frontalière entre le Mexique et les États-Unis, dans le but de rappeler que les phénomènes migratoires sont partout. Ainsi, on peut voir dans le musée une gourde noire et une poche en tissu brodée retrouvée dans le désert de l’Arizona dans laquelle on conserve les galettes de tortilla.
D'après Giacomo Sferlazzo, les objets le plus importants ne sont pas exposés. Il s’agit de lettres rédigées en français, en anglais, en tigrigna, en bengali ou encore en arabe qui ont été récupérées dans des sachets plastiques au milieu de photos et d’écrits religieux. "Pour le moment, il vaut mieux ne pas montrer ces lettres", explique Giacomo Sferlazzo, pour éviter une "pornographie de la douleur." Selon lui, il faut d’abord attendre que les choses changent, "en espérant que nous serons un jour vraiment capables de comprendre entièrement ces témoignages."
Certaines lettres ont été écrites par des proches avant le départ, alors que d’autres ont été rédigées par des migrants pendant leurs voyage.
Rappeler le contexte politique aux visiteurs
L'association Askavusa a été sollicitée à plusieurs reprises par les autorités locales mais aussi par des fondations privées qui souhaitent l'agrandir. Mais selon Giacomo Sferlazzo, l’association préfère garder son indépendance.

Ainsi, un panneau d’information dans le musée rappelle quelles sont les politiques migratoires mises en place par l’Italie et plus généralement par l’Union européenne "pour maintenir les gens hors de leurs frontières".
"Le gens devraient être en mesure de se payer un billet d’avion, d’aller où ils le veulent, ou bien de choisir de rester à la maison”, estime encore Giacomo Sferlazzo. Rappeler le contexte politique aux visiteurs permet d’éviter de tomber dans "l’émotion simpliste". "De nos jours, il y a un besoin de réflexion et je pense que les expositions d’art doivent être des lieux qui favorisent la réflexion et permettent de se confronter à des informations."
Traduction : Marco Wolter
