En Albanie, petit pays pauvre des Balkans, un nombre croissant de migrants venus de Grèce transitent dans l’espoir de rejoindre d’autres États européens. Une solution de repli pour cette population après le renforcement des contrôles en Macédoine du Nord, en Serbie et en Croatie.
Pour rejoindre l’Albanie depuis la Grèce, il faut entreprendre la traversée d’une frontière montagneuse. S’étendant sur 350 kilomètres, cette zone était jusqu’alors peu surveillée par les forces de l’ordre : les migrants qui désiraient rejoindre l’Europe occidentale depuis la Grèce préféraient la route passant par la Macédoine du Nord, plus facile d’accès.
Avec le renforcement des contrôles par la Macédoine du Nord, la Serbie et la Croatie, la donne a changé. “Il est désormais difficile de quitter la Serbie. Par conséquent, les migrants se tournent vers d’autres chemins, plus hasardeux”, commente Peter Van Der Auweraert, représentant de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) en Bosnie, joint par InfoMigrants. “Fin 2017, des passeurs ont testé différentes routes, dont celle passant par l’Albanie, la Bosnie et la Croatie pour rejoindre la Slovénie, pays d’entrée dans l’espace Schengen. Ils ont vu que c’était possible et que cette route pouvait donc constituer une alternative.”
Résultat, le passage s’est considérablement intensifié dans cette zone, considérée comme l’un des couloirs principaux des Balkans occidentaux. En 2018, près de 7 000 migrants illégaux ont été appréhendés par les forces de police sur le territoire albanais, contre seulement 1 000 personnes en 2017, selon des chiffres officiels communiqués par l’OIM. L’année 2019 devrait marquer un record : 5 600 personnes y ont déjà été appréhendées au cours des huit premiers mois.
Quitter la Grèce
“Les migrants en Albanie, de nationalité pakistanaise, bangladaise, afghane, syrienne, irakienne, ou encore nord-africaine, font partie de deux groupes principaux", commente Peter Van Der Auweraert : "Ceux qui étaient déjà en Grèce depuis un certain temps mais qui veulent désormais en partir car la procédure d’asile est trop longue là-bas et les conditions d’hébergement sont insatisfaisantes. Et ceux qui n’ont jamais eu l’intention de rester en Grèce.”
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Pour ces personnes, le passage de la frontière gréco-albanaise s’est récemment corsé. La zone est désormais sur les radars des autorités européennes. Depuis mai, l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, Frontex, y a déployé du matériel et 50 officiers, alors même que l’Albanie ne possède pas de “frontière extérieure” de l’Union européenne. Il s’agit de la première opération de cette agence en dehors de l’Union européenne (UE), rendue possible grâce à un accord avec les autorités albanaises.
Une manière pour l’Albanie, qui espère entamer le processus d’intégration dans l’UE, de s’attirer les faveurs de Bruxelles. Et pour l’Union européenne, de contrôler plus tôt les futurs arrivants sur son territoire en repoussant les limites de sa “forteresse”, comme l’a dénoncé Andrej Hunko, représentant au parlement du parti politique allemand de gauche Die Linke. Depuis mai, quelque 2 300 migrants ont été arrêtés, annonce Frontex. Ces personnes sont ensuite remises aux autorités albanaises.
Pays de transit
À Tirana, la capitale, un centre pour migrants accueillent ceux qui ont été interpellés. Là-bas, “100 % des personnes demandent l’asile, assure Peter Van Der Auweraert. C’est une façon de légaliser leur situation pour ensuite tenter de passer au Montenegro”, poursuit l’expert basé en Bosnie, où le nombre de migrants est également en nette augmentation. “Car, dans tous les cas, ces migrants voient l’Albanie comme un pays de transit.”
L’Albanie jouit pourtant d’une réputation accueillante. “Une grosse partie de la population est islamique”, commente Peter Van Der Auweraert. Certains notent aussi l’ouverture religieuse de ce petit État : en 1967, il s’était déclaré premier pays “athée” du monde, rappelait le journal Libération, en 2018, dans un article sur l’hospitalité albanaise.
Mais peu envisagent de s’y installer sur le long terme : avec ses salaires les plus bas d’Europe - environ 330 euros moyens par mois - l’Albanie est même confrontée à un exode de sa propre population : près de 12 % des Albanais ont quitté le pays entre 2011 et 2017, selon des chiffres Eurostat (en 2018, ces ressortissants faisaient partie des principaux demandeurs d’asile en France). “Les migrants veulent s'installer dans des pays, souvent en Europe occidentale, où ils peuvent avoir une situation économique viable”, affirme encore Peter Van Der Auweraert.
Depuis l'Albanie, la route vers le Nord s'annonce toutefois semée d'embûches : à la frontière stratégique entre la Slovénie et la Croatie, les autorités slovènes ont annoncé l'installation de nouvelles barrières.