Perdue au milieu de la mer Méditerranée, la petite île italienne de Lampedusa est le premier territoire européen sur la route maritime des migrants qui partent des côtes africaines, notamment libyennes et tunisiennes. Les étrangers qui atteignent l'île n'y restent que 48 heures. Ils sont hébergés dans le seul centre habilité à les accueillir - d'une capacité de 96 places. Reportage.
On l’a dit débordée, voire même "envahie" par les migrants qui débarquent sur ses côtes. Pourtant, en cette matinée d’automne, Lampedusa vit au ralenti.
Les rues de cette petite île italienne, située à seulement 150 km de l’Afrique, sont désertes. Les quelques badauds croisés ici ou là ne s’attardent pas dans la ville, tant la chaleur est écrasante. L’activité est si calme que les magasins de la rue piétonne – via Roma - n’ont pas encore ouverts, en milieu de journée.
Les migrants se font discrets aussi. On est loin de l’image "d’invasion" relayée par une partie de la classe politique italienne, notamment l’ancien ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, et aussi par une frange de la population italienne sur les réseaux sociaux.
"La majorité des arrivées viennent de Tunisie"
En cette semaine de la mi-octobre, l'unique centre d’accueil de migrants de l’île n’affiche pas complet. Environ 50 personnes y sont présentes, contre près de 400 la semaine dernière – pour une capacité de 96 places.
Lampedusa est en fait une zone de transit ultra-rapide
pour les exilés qui débarquent sur ses côtes. "Quand les migrants arrivent
chez nous, ils sont orientés vers le hotspot de l’île pour une durée de 48
heures. Ensuite, ils sont transférés en Sicile. Ce matin par exemple [21
octobre, ndlr], 80 personnes ont été envoyées sur l’île voisine",
explique le maire de la ville, Salvatore Martello, qui répond aux questions d’InfoMigrants dans son bureau, cigare à la main.
48 heures sur l’île
Avec moins de 100 places disponibles sur l’île, la menace d’un goulot d’étranglement est omniprésente. "Si le système de transfert coince, on peut vite se retrouver en situation de surpopulation", continue-t-il.
L’île vit au gré des arrivées de migrants. La mer étant très agitée ces derniers jours, les départs depuis les côtes tunisiennes sont rares, voire inexistants.
De manière générale, les arrivées sont stables à Lampedusa par rapport à l’année dernière : 3 400 personnes ont débarqué sur les côtes de l’île pendant les 9 premiers mois de l’année 2019 contre 3 440 pour toute l’année 2018. Le chiffre est en revanche en nette diminution par rapport à 2017 où près de 9 000 migrants avaient été accueillis à Lampedusa.
"Ces données s’expliquent par une diminution des départs depuis la Libye, la majorité des arrivées aujourd’hui viennent de Tunisie", précise à InfoMigrants Flavio Di Giacomo, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en Italie.
"Si on est renvoyé en Tunisie, on
reviendra"
Logiquement donc, les Tunisiens sont la première nationalité représentée chez les migrants débarquant sur l’île. Selon les chiffres de l’OIM, sur les 3 400 migrants arrivés cette année, 2 100 sont des Tunisiens, soit un petit peu plus de 60 %.
Les Africains subsahariens sont moins nombreux qu’avant, même si "on voit beaucoup de femmes et de nombreux enfants noirs [arriver sur les côtes], ces derniers temps", assure Salvatore Martello.
Interrogés par InfoMigrants, la plupart des Tunisiens expliquent venir en Italie pour trouver du travail, ils sont considérés comme des migrants économiques. "Les Tunisiens ne demandent pas l’asile en Italie", note Flavio Di Giacomo de l’OIM. La grande majorité est donc transférée en Sicile puis renvoyée rapidement en Tunisie.
Un accord entre les deux pays prévoit en effet des expulsions rapides vers la Tunisie : "Le ratio est de 80 personnes renvoyées par semaine", précise l’OIM. Les autres migrants "expulsables" reçoivent un document leur intimant l’ordre de quitter le territoire italien.
"Ceux qui ne sont pas renvoyés par avion ont sept jours pour quitter le territoire italien par leurs propres moyens mais la plupart se débrouillent pour aller sur le continent et gagner un autre pays européen", ajoute le porte-parole de l’OIM.
Nazir, un Tunisien de 21 ans, a déjà tenté sa chance en Europe il y a plusieurs années. "Je suis arrivé à Lampedusa, puis j’ai été transféré en Sicile et je suis allé dans le sud de la France", explique le jeune homme en regardant le port de Lampedusa. Renvoyé par la France dans son pays, Nazir a repris la mer cette année.
"Je n’ai pas d’avenir en Tunisie, il n’y a pas de travail", lance-t-il. À ses côtés, son ami Makram acquiesce et ne peut contenir sa colère. "On quitte notre pays car on n’a rien à faire là-bas. Pourquoi l’Europe signe des accords avec la Tunisie ?", se demande le jeune homme qui a lui aussi déjà essayé de rejoindre l’Europe. "De toute façon si on est renvoyé, on reviendra".