Un jeune homme devant une fenêtre de l'hôtel "Passerelle" de MSF à Neuilly-Plaisance, près de Paris. © Augustin Legall / MSF
Un jeune homme devant une fenêtre de l'hôtel "Passerelle" de MSF à Neuilly-Plaisance, près de Paris. © Augustin Legall / MSF

À Neuilly-Plaisance, près de Paris, 36 mineurs non accompagnés dont la minorité n’a pas été reconnue sont hébergés dans un hôtel grâce au programme "Passerelle" de Médecins sans frontières. Au sein de cette structure, les jeunes sont suivis au niveau médical et psychologique et bénéficient d’un accompagnement juridique avant d’être accueillis au sein de réseaux d’hébergement solidaires. Reportage.

"Ici, je suis à l’aise, je me lave, je mange bien, les gens sont gentils". Le regard timide, un peu fuyant, Amina* s’excuse pour son français - pourtant tout à fait compréhensible - et pour sa notion du temps un peu floue depuis son arrivée en France. "Je suis à l’hôtel depuis août. Avant, c’était compliqué, j’essaie d’oublier un peu", poursuit la jeune Guinéenne qui assure avoir 14 ans.

Amina est l’une des 36 résidents (filles et garçons) hébergés à l’hôtel Milton, à Neuilly-Plaisance, près de Paris. Tous font partie du programme "Passerelle" de l’organisation Médecins sans frontières (MSF). Originaires d’Afrique de l’Ouest, mais aussi d'Afghanistan, du Maroc ou de Tunisie, ces jeunes étrangers non accompagnés ont pour point commun de se déclarer mineurs, mais ne pas avoir été reconnus comme tel par les autorités.

En France, à leur arrivée, les mineurs seuls - ou non accompagnés d'un tuteur légal - doivent se tourner vers les départements et leurs services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE)** pour obtenir une protection, un toit, et un suivi administratif. Mais beaucoup de jeunes âgés de 15, 16 ou 17 ans sont déclarés majeurs, leur minorité étant mise en doute.

L'hôtel Milton, où sont hébergés les jeunes du programme "Passerelle" de MSF.  © Augustin Legall / MSFManger à sa faim, dormir au chaud le temps du recours

C’est pour aider ces adolescents livrés à eux-mêmes que MSF a lancé en août 2018 ce programme "Passerelle". Il leur permet d’être hébergés pendant quelques semaines au sein de l’hôtel Milton, dont une aile est louée par l’ONG. Durant cette période, les jeunes peuvent ainsi déposer un recours en bonne et due forme pour faire reconnaître leur statut d’enfant.  

Pour Amina, l’hôtel est avant tout un moment de répit. Envoyée en France par sa famille, elle a été abandonnée par son passeur à son arrivée. La jeune fille, rejetée des dispositifs pour mineurs, a passée plusieurs nuits dehors avant de connaître "Passerelle". 

Ici, Amina et les autres jeunes - au parcours souvent traumatisant - mangent à leur faim et dorment à l'abri, dans des chambres partagées. Amina partage la sienne avec deux autres filles, devenues des amies. "Une d’elle m’a même prêté un téléphone car le mien était gâté", sourit-elle. Dans la journée, quand elles n’ont pas de rendez-vous avec les équipes de suivi du centre, elles vont jouer "au foot ou au basket" sur un terrain proche.

Des jeunes partagent un repas au sein de l'hôtel Milton. © Augustin Legall / MSFDans l’un des couloirs de la partie de l’hôtel réservée à MSF, aux murs recouverts de photos et d’informations pratiques, un planning de la semaine est affiché. Au programme : des cours de français, des réunions entre jeunes, des ateliers de discussion, ou encore des séances de musculation. "Moi, je vais au sport, rester sans rien faire ce n’est pas bon, sinon tu dors, tu manges, tu te couches !", s’exclame encore Amina, visiblement soucieuse d’occuper ses journées.  

Placés à Passerelle "deux ou trois mois"

Les jeunes comme Amina ont été repérés par des associations lors de maraudes dans la capitale, puis envoyés au centre de jour MSF situé à Pantin. Ils sont alors inscrits sur une liste d’attente pour accéder à "Passerelle". Quelques-uns y sont toutefois placés "en urgence", en fonction de leur niveau de "vulnérabilité", explique Frédéric Bertrand, coordinateur du projet MNA (mineurs non accompagnés) en Île-de-France pour MSF. 

Un jeune homme dans sa chambre, au sein de l'hôtel Milton. © Augustin Legall / MSFSi les places sont chères, elles sont aussi temporaires. "En moyenne, les jeunes passent entre deux à trois mois dans l’hôtel, le temps de faire des bilans de santé, leurs vaccinations et dépistages. D’autres sont suivis pour des pathologies particulières, ou ont encore des démarches juridiques importantes à faire à Paris, auquel cas on les garde un peu plus longtemps ici", précise Julien Boyé, superviseur éducatif du programme. Depuis le début du projet en août 2018, 149 jeunes ont été hébergés dans cet hôtel "Passerelle".

Une fois remis sur pieds, leur dossier administratif de reconnaissance de minorité prêt, et leur check-up médical effectué, les jeunes peuvent quitter l’hôtel. Ils sont accueillis dans des familles bénévoles du réseau d’hébergement solidaire de l’association Utopia 56, partenaire du programme. Ils peuvent ainsi suivre le cours de leur procédure, au chaud, sous un autre toit.  

"Mon éducateur m’appelle, ça me rassure"

Ce jour-là, Idrissa*, un jeune Malien de 16 ans, est de retour à l’hôtel pour des rendez-vous à Paris. Le jeune homme a déjà été accueilli par deux familles près de Millau (en Occitanie, au sud de la France). "Il arrive que certains reviennent pour des raisons médicales ou pour récupérer certains documents", poursuit Julien Boyé. 

>> Que se passe-t-il pour les "mineurs non-accompagnés" qui arrivent en Europe?

Même quand ils sont envoyés dans des familles, souvent en dehors de l’Île-de-France, les jeunes sont toujours accompagnés par les équipes de MSF, qui suivent notamment leurs démarches administratives. "Quand je suis à Millau, mon éducateur m’appelle toutes les semaines, ça me rassure", témoigne Idrissa.

Un jeune dans le couloir de l'hôtel Milton menant aux chambres réservées au programme Passerelle. © Augustin Legall / MSFEn général, la prise en charge de MSF s’arrête quand le jeune reçoit une décision finale du juge : ceux qui sont reconnus mineurs quittent les réseaux d'hébergement solidaire et rejoignent les dispositifs de l’Aide sociale à l’enfance. À l’inverse, pour ceux dont la décision de minorité est négative, le parcours du combattant continue. MSF les redirige vers des structures adaptées. Mais beaucoup retournent à la rue.

Avoir "une carte Navigo et aller à l’école"

Pour Idrissa et Amina, l’attente est angoissante. Malgré le flou juridique qui entoure son statut administratif, le jeune Idrissa a toutefois commencé une formation professionnelle en "menuiserie", grâce à l’aide des familles qui l’accompagnent à Millau. De quoi lui remonter un peu le moral, même si son regard inquiet semble rappeler que son avenir tient toujours à l’âge que lui donnera le juge.

Amina, elle, trépigne d’impatience. Elle voudrait déjà avoir "une carte Navigo et aller à l’école" pour reprendre sa scolarité interrompue, mais surtout pour suivre l’objectif fixé par sa famille à son départ de Guinée. "Mon oncle m’avait dit qu’en arrivant en France, j’étudierai bien", reprend-elle. Pour l’heure, la jeune fille est un peu désillusionnée, elle n’imaginait pas le chemin aussi long. "J’espère que le juge va me comprendre".

Un cours de franais dans lhtel Milton  Augustin Legall  MSF

** À Paris, où les jeunes se déclarant mineurs sont très nombreux, c’est le Demie 75, géré par la Croix-Rouge, qui s’occupe de leur évaluation. En 2017, ils étaient 6 600 à se présenter au DEMIE 75. Or, beaucoup ne sont finalement pas pris en charge, leur minorité étant remise en cause. Ils se retrouvent alors à la rue, à la fois privés d’accès aux dispositifs d’aide destinés aux mineurs, et de ceux destinés aux majeurs.

*Tous les prénoms des mineurs ont été modifiés. 

 

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