Un demandeur d'asile dans une PASS à Paris. Crédit : InfoMigrants
Un demandeur d'asile dans une PASS à Paris. Crédit : InfoMigrants

Le gouvernement français a annoncé mercredi de nouvelles mesures censées repenser l'accueil des migrants en France. Parmi les objectifs avancés, celui de "reprendre le contrôle sur la politique migratoire" ou encore de lutter contre "les abus" dans le secteur de la santé, avec notamment l'instauration d'un délai de carence pour les demandeurs d'asile. Or, pour Médecins du Monde et la Cimade, en durcissant les conditions d'accès aux soins, le gouvernement se risque à une politique "dangereuse" qui cible des personnes "en grand besoin".

Le Premier ministre Edouard Philippe a égrené mercredi 6 novembre une vingtaine de mesures pour "améliorer (la) politique d’immigration, d’asile et d’intégration". Outre la mise en place de quotas d'immigrés pour certains emplois, l'ouverture de nouveaux centres de rétention administrative ou la volonté de réduire le délai de l'instruction de l'asile, le gouvernement met l'accent sur "les dévoiements et les abus" en matière de soins et propose une série des réformes pour y remédier. 

Or, pour plusieurs associations comme Médecins du Monde, les mesures annoncées en terme d'accès à la santé des personnes étrangères en France "représentent des reculs sans précédent". Dans un communiqué paru mercredi 6 novembre, dix organisations dénoncent en premier lieu l'instauration d'un délai de carence de trois mois pour l'accès à la protection universelle maladie (PUMa) des demandeurs d'asile. Jusqu’à présent, ces personnes pouvaient bénéficier d'une protection santé dès lors que leur demande d’asile était en cours d'examen. 

"On est choqué, on est outré : c'est la première fois qu'un gouvernement s'en prend à l'accès à la santé des demandeurs d'asile", s'alarme Carine Rolland, médecin généraliste et membre du conseil d'administration de l'association Médecins du Monde, jointe par InfoMigrants.

"Il n'y a aucune logique médicale, de santé publique ou économique"

"Ces personnes arrivent après un parcours très éprouvant, très difficile. C'est la Libye, c'est la Méditerranée. Et puis, c'est l'indignité de l'accueil en France, où plus d'un demandeur d'asile sur deux n'est pas logé en CADA  et se retrouve dans des campements infâmes, sur des trottoirs : il faut imaginer ce quotidien. Ils sont épuisés physiquement et psychologiquement, ce sont des personnes en grand besoin", précise-t-elle. D'autant que, selon Carine Rolland, le délai est déjà long pour que les demandeurs d'asile aient accès aux soins : "Le temps qu'ils soient enregistrés à une plateforme, les SPADA, qu'on prenne leurs empreintes en préfecture, puis qu'ils reçoivent une attestation et qu'après ils voient un médecin, c'est déjà trois à six mois !" 

Toujours dans leur communiqué, les associations rappellent que ces mesures ne feront que "reporter la charge du soin sur les hôpitaux en particulier les urgences et les PASS ". "Il n'y a aucune logique médicale, de santé publique ou économique car les personnes arriveront encore plus malades dans les hôpitaux et cela coûtera encore plus cher de les soigner. Si on considère que, sur notre territoire, des personnes ne doivent plus avoir accès aux soins, c'est très dangereux. La seule raison est politique, on instrumentalise le migrant, et on précarise encore plus ces personnes", ajoute Carine Rolland.

Le Conseil national de l'Ordre des médecins a également publié un texte jeudi 7 novembre, indiquant que ce délai de carence "interroge sur le principe de solidarité qui est le fondement même de notre pays et de notre système de santé". "Les médecins – qui ont fait le serment de protéger toutes les personnes, sans aucune discrimination, si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité – ont besoin d’explications. Seront-ils contraints, demain, de refuser de soigner cette population ?", poursuit le Conseil, qui se dit "préoccupé". 

La période pendant laquelle une personne continue de bénéficier de la protection maladie après la perte du droit au séjour est elle réduite : les déboutés du droit d'asile verront leur accès à la PUMa passer de 12 mois actuellement à 6 mois. Pour les personnes faisant l'objet d'une OQTF, l'accès aux soins sera immédiatement interrompu. 

"Les personnes qui migrent ne le font pas pour des raisons médicales"

Ces mesures gouvernementales s’appuient notamment sur un rapport des inspections générales des affaires sociales et des finances rendu public le 5 novembre. Il évoque, entre autres, la "croissance rapide du nombre des demandes d’asile [...] en provenance de pays sûrs, parmi lesquels l’Albanie et la Géorgie", qui pose "la question du dévoiement du dispositif". En clair, certains demandeurs d'asile souhaiteraient "uniquement bénéficier de soins gratuits en France" - sans que l'ampleur du phénomène ne soit chiffrée dans le rapport.

"C'est faux, les personnes qui migrent ne le font pas pour des raisons médicales, ou alors c'est à la marge. Ce n'est étayé par aucune donnée", s'agace Carine Rolland. 

"On fait payer à tous les demandeurs d’asile une faute, encore une fois même pas documentée, de quelques personnes", abonde Cyrille de Billy, secrétaire général de la Cimade, également joint par InfoMigrants. "En plus, avec cette notion de 'pays sûrs', on fait tout pour dire que certaines personnes ne sont pas légitimes à demander l'asile". 

Des contrôles renforcés pour les bénéficiaires de l'AME

S'il n'est pas question de supprimer l'Aide Médicale d'État (AME), le dispositif réservé aux sans-papiers régulièrement au cœur de controverses, elle fera toutefois l'objet de plus importants contrôles. Un délai de trois mois de résidence en France à partir de l’expiration du visa ou du titre de séjour sera requis avant l’obtention de l’AME. Il s'agit d'éviter que des personnes venues en France en tant que touristes puissent profiter du système de santé ensuite, c'est-à-dire faire du "tourisme médical". 

La demande d'AME devra encore être présentée sur comparution physique du demandeur dans une Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), ou "par l’intermédiaire d’un hôpital ou d’une permanence d’accès aux soins de santé (PASS)". Pour Cyrille de Billy, cela s'inscrit dans la même veine que les autres décisions : "on complique l'accès déjà difficile aux soins et va accroître encore plus le nombre de renoncements aux soins". "On est à l'ère de la dématérialisation, il y a de moins en moins d'accueil public et là, on demande à des personnes d'aller physiquement déposer leur dossier : c'est discriminatoire", affirme de son côté Carine Rolland. 

Enfin, les soins considérés comme non-urgents devront être validés avant par la Sécurité sociale pour lutter contre les fraudes. Les prestations concernées sont, par exemple, la pose de prothèses, l’opération de la cataracte ou encore les soins de kinésithérapie. "On demande aux agents de la sécurité sociale d’être des acteurs du contrôle de la politique migratoire française, comme s’ils étaient une préfecture. Les CPAM ne sont pas des antennes du ministère de l'Intérieur !", note encore Carine Rolland. 

Dans un communiqué publié le 7 novembre, la Cimade explique par ailleurs que ces décisions censées combattre la "fraude à l'aide médicale d'État" ne sont pas accompagnées des chiffres existants à ce sujet. En effet, en 2018, un rapport du Sénat avait souligné que seuls 38 cas de fraude avaient été détectés, sur plus de 300 000 bénéficiaires de l'AME, soit 0,01%.

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