Alors que l'Egypte souffre d'une économie en perte de vitesse, les migrants et réfugiés d'Afrique subsaharienne sont de plus en plus victimes de violences et de rejet de la part de la population.
Le Caire est depuis longtemps l'une des destinations privilégiées pour ceux qui fuient les guerres ou la misère dans la région. Des migrants venus de Syrie ou encore de Libye ont ainsi élu domicile dans la mégalopole égyptienne et beaucoup ont monté leur propre petite entreprise pour s'en sortir et s'intégrer dans l'économie locale.
Mais si dans la plupart des cas, les personnes originaires de pays arabophones ont pu compter sur une population accueillante, les migrants venant des pays d'Afrique subsaharienne sont régulièrement victimes de racisme et de discrimination. Selon une enquête de l'agence de presse AP, l'Egypte a pendant longtemps fermé les yeux sur ce phénomène de violence vis-à-vis de la population noire.

Des reporters de l'AP au Caire sont allés à la rencontre de plusieurs groupes de migrants pour recueillir leurs témoignages sur le racisme ordinaire qui sévit dans cette ville de 20 millions d'habitants.
Certaines personnes racontent ainsi avoir vécu "des insultes racistes, du harcèlement sexuel et d'autres abus". Parmi les migrants interrogés, quatre enfants expliquent qu'on leur a "jeté des pierres et des déchets sur le chemin de l'école".
D'autres affirment être régulièrement traité d'"esclave", une insulte raciste très répandue dans la langue arabe pour parler des personnes de couleur.
Revivre des souvenirs
douloureux
Les femmes d'Afrique subsaharienne sont les premières victimes de ces injures, d'après les témoignages rapportés par l'AP. L'enquête parle ainsi du cas de deux sœurs soudanaises en état de choc après avoir été attaquées alors qu'elles venaient de chercher leurs enfants à la sortie de l'école.
Un groupe d'adolescents égyptiens s'est attroupé autour d'elles pour les insulter et même tenter d'arracher leurs vêtements. Les deux sœurs vivaient au Caire depuis seulement quelques mois après avoir fui les violences au Soudan.
D'après l'AP, cet épisode de harcèlement "a fait ressurgir des souvenirs traumatisants de leur détention, de la torture et des viols que ces deux femmes avaient dû endurer lorsqu'elles se trouvaient entre les mains de miliciens dans les montages soudanaises des Monts Nuba. L'une des deux femmes explique ainsi "avoir fui vers l'Egypte pour être en sécurité, "mais la réalité est bien différente".
Deux autres Soudanaises racontent qu'elles ont été victimes d'agressions sexuelles de la part de leur employeur pour qui elles travaillaient comme femmes de ménage. La police n'en a néanmoins jamais été informée : l'une des deux femmes a gardé le silence parce qu'elle n'avait pas encore finalisé sa demande de séjour en Egypte et l'autre craignait des représailles de l'employeur.
Selon l'OIM, l'Egypte accueille plus de six millions de migrants et plus de la moitié sont originaires du Soudan ou du Soudan du Sud où les conflits armés continuent de faire des dizaines de milliers de déplacés chaque année.
L'OIM confirme la montée de la xénophobie
L'OIM dresse le même constat et affirme que l'attitude vis-à-vis des femmes migrantes se s'est dégradée ces derniers mois, avec un nombre grandissant de cas de violences sexuelles.
Shirley De Leon fait de la gestion de projet à l'OIM et pense que la hausse des attaques xénophobes est en partie liée aux difficultés économiques que traverse l'Egypte, "exacerbées par l'inflation, une baisse des revenus et le chômage des jeunes."
"Les femmes et les jeunes filles sont les plus touchées, mais il y aussi des hommes et des garçons qui sont dans une situation de vulnérabilité", affirme Shirley De Leon.
Les reporters de l'AP ont ainsi parlé à un homme réfugié originaire d'Ethiopie arrivé au Caire il y a cinq ans. Il estime que la seule raison pour laquelle il a été en mesure d'avoir du travail en Egypte est qu'il demande la moitié du salaire d'un Egyptien. Selon lui, malgré la xénophobie et les problèmes économiques, le Caire reste sa meilleure option : "Ici c'est bien mieux que dans mon pays d'autant que je n'ai quasiment aucune chance d'arriver en Europe."

Les comportements face aux réfugiés et au migrants de couleur pourraient cependant lentement évoluer. Le président égyptien Abdel Fattah Al Sissi a lui-même déclaré que les réfugiés et les migrants étaient "nos invités et les mauvais traitements ne sont pas acceptables ni autorisés".
Cette déclaration est intervenue en novembre dernier dans la foulée de la diffusion d'une vidéo devenue virale. On y voit trois adolescents égyptiens harceler un jeune écolier du Soudan du Sud. Les jeunes se moquent de lui et de sa couleur de peau avant de tenter de lui prendre son cartable.
"Les autorités peuvent être décisives si elles prennent des mesures plus sévères contre le racisme et le harcèlement", explique Attia Essawi à l'AP. Mais cet expert de l'Afrique au Centre pour les études politiques et stratégiques Al Ahram au Caire pense que le changement des mentalités racistes va prendre beaucoup de temps en Egypte, où des personnes à la peau claire ont reçu pendant des centaines d'années un traitement privilégié.
Et les déclarations du président Al Sissi ne vont pas changer la donne du jour au lendemain.
En 2018, un tribunal a condamné un homme à sept ans de prison pour avoir battu à mort un enseignant du Soudan du Sud qui travaillait dans une école pour réfugiés. Si certains se félicitent de l'existence même d'une condamnation, d'autres estiment que la sentence a été bien trop légère pour un tel crime.
Avec AP
Traduction : Marco Wolter