A chaque pays sa culture de la drague. Pour réussir à percer les secrets de l’amour en Allemagne, de jeunes réfugiés participent à des ateliers assurés par un coach en séduction.
Au premier regard, Mohammed semble avoir de l’assurance, du haut de ses 17 ans. Jeans retroussé, t-shirt décontracté, coupe de cheveux moderne rasé sur les côtés, il retourne sa chaise et s’assied les bras appuyés sur le dossier. Pourtant l’image est trompeuse. Cette confiance affichée va rapidement laisser place à la timidité lorsque Mohammed se met à parler de filles. « Comment savoir ce qu’elle veut ? Je n’ai encore jamais eu de copine et je ne sais pas comment je dois me comporter », explique ouvertement le jeune homme, malgré le ricanement de ses amis.
Comme Mohammed, une trentaine de jeunes réfugiés sont rassemblés dans les locaux d’un centre d’aide de la ville d’Essen, dans l’Ouest de l’Allemagne, entre Dortmund et Düsseldorf. La plupart d’entre eux sont mineurs et sont arrivés en Allemagne sans parents. Aujourd’hui, ils sont venus participer à un atelier baptisé « How to fall in love in Germany », autrement dit « Comment tomber amoureux en Allemagne ». « N’en faites pas toute une montagne, juste parce que ce sont des femmes », explique Horst Wenzel. L’homme est un professionnel de la séduction et gagne sa vie en donnant des cours de drague. « Sois toi-même et la conversation sera bonne », répond Horst Wenzel à Mohammed, originaire d’Afghanistan.
Amour, contraception, MST
Le centre d’aide d’Essen assure depuis déjà un an des séances d’information autour de la sexualité à destination des migrants. On y évoque l’amour, les moyens de contraception, les maladies sexuellement transmissibles, ou encore la grossesse. « Les jeunes nous ont régulièrement dit qu’ils souhaiteraient aussi en savoir davantage sur la drague et la manière dont la séduction fonctionne en Allemagne », explique la sexologue Meral Renz. C’est ainsi que l’idée est venue d’organiser un véritable atelier de séduction.
C’est là que Horst Wenzel entre en jeu. Généralement, ses clients paient pour tenter de comprendre les mystères de l’amour. Mais pour les migrants, le célèbre « Flirtcoach » comme on l’appelle en Allemagne, a décidé de faire une exception et d’offrir gratuitement ses précieux conseils. Pour le presque trentenaire, « chacun qui souhaite s’en sortir en Allemagne devrait commencer par se trouver un meilleur ami allemand ou une meilleure amie allemande pour s’intégrer socialement. Les migrants que je vois restent trop souvent isolés. Ils apprennent l’allemand et la bureaucratie, mais on oublie qu’il faut aussi des techniques sociales pour élargir son cercle de connaissances et s’intégrer. » Il conseille aussi aux jeunes d’utiliser des applications de rencontre en ligne.
Un cours de drague sous protection policière
Ces cours de séduction n’ont pas manqué de susciter la polémique. Horst Wenzel a reçu des messages de menaces et d’insultes. « Tu es mort » ou encore « Attend que ta femme se fasse violer » peut-on lire dans des commentaires sur les réseaux sociaux. D’autres s’indignent que de l’argent public serve à ce genre de projets, bien que Horst Wenzel insiste sur la gratuité de l’opération pour le contribuable. « Quand j’ai lu ces messages, je me suis dit que c’était une raison de plus de foncer ». Le centre d’aide a lui aussi fait l’objet de menaces. « Des gens d’extrême droite nous ont accusé d’apprendre aux réfugiés comment ils pouvaient violer les femmes allemandes », témoigne la directrice des lieux Nicola Völckel. Il a donc fallu faire appel à la police pour sécuriser l’atelier de séduction. « Désormais, explique Horst Wenzel, face aux intimidations d’extrême droite, les dates des ateliers ne sont plus communiquées. »
Pendant ce temps, le cours se déroule en toute sérénité. On en arrive à la partie la plus attendue : les questions. Après la timidité du début de séance, chacun commence à se lâcher. « Comment savoir si une fille a envie qu’on l’embrasse », demande l’un des jeunes. Un autre demande « pourquoi les relations peuvent s’arrêter après seulement quelques semaines ». « Parce que les hommes veulent faire l’amour trop vite », entend-on dans la salle. « Non, les femmes cherchent juste quelqu’un de meilleur », estime une autre voix, dans un allemand bancal.
Des conseils pratiques
A ce moment-là, ressurgissent les souvenirs de 2015 et la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, quand de nombreuses femmes avaient été harcelées pendant la soirée du nouvel an par des migrants sans retenue. « Depuis cet événement les femmes ont beaucoup plus peur de nous et prennent leur distances » raconte Nadeem, originaire de Syrie.
Pour Horst Wenzel, les préjugés représentent une grande difficulté. « Souvent, le problème, ce ne sont pas les réfugiés, mais les Allemands eux-mêmes. » Beaucoup réagiraient par un geste de rejet, quand ils apprennent qu’ils ont à faire à un réfugié. « Mon impression est que ces jeunes hommes sont très charmants, et ont tout ce qu’il faut pour également plaire aux femmes en Allemagne », assure le coach en séduction.
Le succès de ces cours a fini par dépasser le centre d’aide d’Essen. Les villes de Dortmund, de Cologne et de Berlin ont manifesté leur intérêt. Des demandes viennent même des Pays-Bas, où une université voudrait théoriser ces cours de culture de l’amour pour les rendre systématiques dans les processus d’intégration.
Version actualisée le 3.03.2017
Auteurs : Christian Wolf, Marco Wolter