Palmo et Youdon sont tibétaines. Elles ont toutes deux quitté leur pays pour échapper à la répression chinoise. À des milliers de kilomètres de chez elles et après un périple de plusieurs mois, elles se sont retrouvées en région parisienne, sur une péniche de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), devenue un point de repère pour les migrants tibétains en France.
Palmo* et Youdon* sont inséparables. C’est d’ailleurs pour cela qu’elles refusent d’être prises en photos. "Même de dos, tout le monde pourrait nous reconnaître, nous sommes tout le temps ensemble", assure Youdon en prenant Palmo par le bras.
Les deux jeunes femmes tibétaines de 27 et 29 ans craignent la réaction que pourraient avoir certains de leurs compatriotes en apprenant qu’elles ont parlé à la presse. Car, comme des dizaines de milliers d’autres, Palmo et Youdon, qui sont originaires des environs de Shigatsé, ont dû fuir le Tibet. Elles ont quitté cette région autonome de la Chine pour échapper à la répression de Pékin envers les dissidents politiques présumés.
Leur histoire est celle d’une amitié retrouvée dans l’exil. À Versailles – où elles vivent depuis le mois de décembre - par un après-midi glacial, elles racontent qu’elles se sont rencontrées en février 2017, à des milliers de kilomètres de là.
La nonne et l’agricultrice
À cette époque, les deux jeunes femmes étaient presque voisines. Palmo, en tant que nonne bouddhiste, vivait dans un monastère. Youdon, elle, était mariée à un agriculteur. Les Tibétaines convoquent leurs souvenirs respectifs pour reconstituer la soirée de leur rencontre. "C’était dans le temple de Tashilhunpo, à Shigatsé, pendant le festival Losar [la fête du nouvel an tibétain, célébré pendant plusieurs jours en février-mars NDLR]. Palmo avait les cheveux rasés et portait la robe rouge des religieux bouddhistes", se souvient Youdon.
Les deux jeunes femmes s’entendent tout de suite à merveille et passent la soirée en semble.
Comme pour la plupart des Tibétains, le bouddhisme occupe une place importante dans la vie de Palmo et Youdon. Mais au Tibet, pratiquer sa foi est devenu dangereux. Le parti communiste chinois n’a jamais vraiment caché son intention de faire disparaître le bouddhisme du Tibet.
"Au Tibet, nous n’avions aucun droit"
Toute image du Dalaï lama – qui vit en exil en Inde – est strictement prohibée, la possession du drapeau tibétain est illégale et les religieux sont contraints de vivre sous étroite surveillance. "Considérant les monastères et lamaseries comme des foyers de dissidence, les autorités chinoises ont imposé des quotas pour le nombre de moines, dans un pays où, avant 1950, un homme sur quatre était dans les ordres", écrivait Pierre Haski, journaliste spécialiste de la Chine, en 2000 dans Libération. La situation ne s’est pas améliorée depuis, au contraire.
"Au Tibet, nous n’avions pas de liberté, nous n’avions aucun droit", résume Youdon. "Moi, par exemple, je suis nonne mais je n’étais pas autorisée à aller prier au temple", abonde Palmo.
Chacune de leur côté, les deux jeunes femmes décident de fuir le Tibet pour se rendre au Népal. Le frère de Palmo – lui aussi religieux bouddhiste - s’y trouve déjà. Youdon part avec son mari.
Le Népal de moins en moins accueillant
Au Népal, la situation n’est pas celle à laquelle Youdon et Palmo s’attendaient. Les Tibétaines ne se sentent pas en sécurité. En juillet 2019, les autorités népalaises refusent pour la première fois d’autoriser les quelque 20 000 Tibétains réfugiés au Népal à célébrer l’anniversaire du Dalaï Lama.
Le pays, historiquement proche de l’Inde, a entamé un rapprochement de la Chine en 2017 avec la signature d’un accord sur la nouvelle "route de la soie" chinoise. Depuis, l’attitude de Katmandou envers les Tibétains est de moins en moins tolérante.
"Nous avons manifesté contre la décision de ne pas nous laisser célébrer l’anniversaire du Dalaï lama", affirme Palmo. Mais la jeune femme ne se sent plus en sécurité. Sur les conseils de son frère, qui lui offre de payer son voyage, la jeune nonne décide de partir pour l’Europe.
Voyage de trois mois
Youdon et son mari aussi sentent que la situation a changé au Népal. Le couple pense à aller en Europe mais n’a pas les moyens de payer le trajet pour deux. Youdon partira seule. La jeune femme vend ses bijoux et ceux de son mari pour financer son trajet. C’est l’homme qui a acheté ses bijoux qui se charge de tout organiser. Le voyage durera trois mois.
Pendant cette période, Youdon transite par au moins cinq pays sans jamais être mise au courant de l’endroit où elle se trouve. D’après ses estimations, le groupe avec qui elle voyageait aurait suivi un itinéraire tortueux : il serait parti de Katmandou direction Bangkok, puis la Malaisie, Chypre, l’Algérie – "un endroit où les gens étaient musulmans et portaient des vêtements blancs" - l’Italie puis, enfin, la France
"L’homme qui voyageait avec nous ne nous expliquait pas où nous allions. Il ne nous disait qu’au dernier moment quand nous partions. Entre chaque étape du voyage, nous devions rester enfermés dans une maison. Quand nous demandions où nous allions, on ne nous répondait pas", se souvient Youdon.
La jeune femme finit par se demander si l’homme qui les fait voyager va vraiment les emmener en France. D’autant plus que les escales durent parfois des jours, voire des semaines.
Une péniche au bord de l’Oise
Palmo rencontre moins de difficulté pour rallier la France. La jeune femme prend un vol de Katmandou pour l’Allemagne, puis rejoint Paris en train.
C’est à partir de la capitale française que les itinéraires des deux jeunes femmes se rejoignent. L’une et l’autre se voient conseiller la ville de Conflans Sainte-Honorine par des Tibétains rencontrés à Paris. Cette commune des Yvelines est devenue au début des années 2010 le lieu de rassemblement des Tibétains exilés en France grâce à la présence de l’association La Pierre Blanche.
Depuis un siècle, ses bénévoles servent des repas aux démunis sur la péniche "Je sers", amarrée quai de la République, au bord de la Seine.
C’est là que Palmo et Youdon se sont retrouvées. Elles racontent en riant leurs retrouvailles. "J’étais tellement heureuse de la retrouver, se remémore Youdon. Mais elle avait beaucoup changé ! Ses cheveux avaient poussé et elle ne portait plus sa robe rouge de nonne."
La péniche "Je sers" est un phare dans le parcours d’exil des Tibétains mais elle ne leur fournit pas un hébergement. Palmo et Youdon trouvent refuge à la fin de l’été 2019 dans le campement qui s’est constitué à Achères, en lisière de la forêt de Saint-Germain.
Quelque 400 migrants Tibétains y vivaient alors dans des tentes, sans eau courante ni électricité. Seul un tuyau d’eau permettait de boire et de faire la vaisselle. Des habitants leur apportaient de quoi manger et leur offraient parfois une solution pour se laver et recharger leurs téléphones portables.
Après plusieurs mois passés dans le campement de fortune, les habitants du campement ont été mis à l’abri. Palmo et Youdon sont hébergées début décembre dans un centre d’urgence géré par la Croix rouge à Versailles (Yvelines). Youdon a déjà obtenu l’asile, Palmo, elle, est toujours en attente de sa convocation de la Préfecture.
Les deux jeunes femmes partagent une chambre avec deux autres jeunes Tibétaines. Loin de leurs familles, elles sont devenues un repère l’une pour l’autre.
*Les noms ont été modifiés