En France, les migrants non accompagnés dont la minorité n’a pas été reconnue par la justice ne peuvent pas obtenir de licence de football. Mais près de Brest, à Guipavas, le club de l’AL Coataudon s'attelle à les accueillir. Deux fois par semaine, des séances sont réservées à ces adolescents étrangers aux parcours complexes. De quoi leur faire oublier, le temps d’un entraînement, les tracas du quotidien.
"Allez on fait la queue !" "Tu chausses du combien toi,
bonhomme ?" Il est à peine 17h et une vingtaine de gaillards sont déjà alignés
les uns derrière les autres devant l’entrée des locaux du club de foot de
d’AL Coataudon, à Guipavas, en Bretagne. Ce mardi soir de février, il fait
beau. En tout cas, il ne pleut pas. Alors pas question de perdre une minute
d’entraînement.
À l'intérieur, dans l’un des vestiaires, les jeunes déposent leurs chaussures et leurs affaires personnelles à des bénévoles. En échange, ces derniers leur tendent une paire de crampons, des protège-tibias et un imperméable. "Comme à la patinoire", s’amuse Luc Treguer, président du club. "On prête le matériel, mais on s’assure qu’ils nous le rendent après !" Chaque nouvel inscrit reçoit également un maillot, un short, des chaussettes et une gourde qu’il garde à l’année.

Ahmed*, un jeune Ivoirien, vient pour la première fois. Luc s’active pour lui trouver une tenue à sa taille dans sa réserve. "Ce sont des affaires qu’on a récupérées auprès de licenciés du club, ou auprès d’autres clubs qui soutiennent notre initiative !", explique-t-il parmi les cartons de vêtements de sport. Une aide du conseil départemental leur a également permis d’acheter des chaussures supplémentaires.
Comme beaucoup de ceux qui viennent à cet entraînement, Ahmed est arrivé en France seul et assure avoir moins de 18 ans. Mais son âge a été remis en cause et il est désormais en procédure pour faire valoir son statut d'enfant. "Ils sont une majorité à être dans cette situation", précise Luc qui organise depuis plus de trois ans des entraînements spécialement dédiés à ces jeunes non reconnus mineurs.

L’idée de leur consacrer deux créneaux par semaine, encadrés par des coachs du club, remonte à 2017. En mars de cette année, Luc rencontrait l’association Utopia 56 lors d’un événement. "Ils ont vu que je portais le blouson du club alors ils m’ont demandé si je pouvais organiser des matchs pour les jeunes migrants", raconte-t-il. Aussitôt dit, aussitôt fait : plusieurs rencontres sont organisées les semaines suivantes sur les terrains du club. "Mais c’était trop ‘compèt’, il fallait cadrer cela avec des séances sérieuses, et un équipement adapté pour ne pas qu’ils se blessent", poursuit le cinquantenaire au regard bienveillant.
"Le football, c'est un langage universel"
Le problème, c’est que la plupart de ces adolescents ne parviennent pas à intégrer des clubs affiliés à la Fédération française de football (FFF). Car pour obtenir une licence, les mineurs non accompagnés doivent présenter un document du juge attestant de leur âge. Sans ce papier, selon le règlement de la Fédération, les clubs peuvent les faire jouer uniquement lors d'entraînements - ils n’ont alors pas le droit de participer aux matchs de leur équipe - ou sur des terrains mis à disposition spécifiquement pour eux.
Pour offrir à ces jeunes une chance de jouer dans de bonnes conditions, Luc a mis au point un système très organisé. "En juin 2017, nous avons signé un partenariat avec le Centre départemental d'action sociale (CDAS) de Brest. Cela permet à tous les jeunes suivis par le CDAS, et qui sont en attente d'une décision quant à leur minorité, de venir jouer”, détaille-t-il. Ainsi, le CDAS se porte responsable pour les joueurs en cas de problème. Luc vérifie également que tous ont ouvert leurs droits à l’AME et arrivent avec un certificat médical de non contre-indication à la pratique du sport. Tous ces documents sont méticuleusement rangés dans un grand classeur.
De fil en aiguille, le projet s’est aussi ouvert à des
demandeurs d’asile hébergés dans les CADA de Brest ainsi
qu’aux jeunes suivis par d’autres associations du secteur. "On a eu un pic
l’année dernière, nous sommes arrivés à 100 inscrits ! Cette année c’est 50,
même si lors des entraînements, on tourne plutôt autour d’une dizaine de
présents", poursuit Luc.
Ce soir-là, ils sont nombreux sur le terrain, presque une vingtaine. Marcel Gourret, 72 ans, coach de longue date, cadre la séance. Il a inscrit les différents exercices du jour sur une feuille de papier. Après un échauffement rigoureux, les joueurs s’entraînent à dribbler entre des plots et à se faire des passes courtes. Tous les participants, à l’écoute, suivent les consignes sans broncher, le sourire aux lèvres.
Même ceux qui ne parlent pas français semblent immédiatement comprendre ce qu’il faut faire. "Le football c’est un langage universel !", fait remarquer Luc. "Parfois quand ils n’écoutent pas, on hausse un peu le ton, comme avec tous les ados", enchaîne Marcel, qui ne prend pas cet entraînement à la légère.
Mamadou*, 17 ans, également originaire de la Côte d’Ivoire,
n’a pas chaussé ses crampons ce soir. Il se sent un peu malade mais a tout de
même fait le déplacement pour rejoindre ses camarades, et arbitrer le match de
fin d’entraînement. "Ça me relâche vraiment de venir ici, ça me détend", dit-il
timidement. Dans son pays, il jouait déjà au foot, mais "pas comme ça".
Beaucoup n’ont en effet jamais été entraînés au sein d’un club.
"Ici, on fait juste du foot !"
Aux alentours de 18h20, alors que la nuit est déjà tombée, un 10 contre 10 commence. "Eh, regarde, il joue bien le petit avec un maillot rouge", lance un autre coach à Marcel. Les jeunes qui finissent par être reconnus mineurs peuvent par la suite demander à rejoindre une équipe du club - si des places sont encore disponibles. Depuis 2017, huit jeunes passés par ces entraînements ont rejoint l’AL Coataudon en licenciés. "Mais on prend les bons !", plaisante Marcel. Dans les faits, ce n’est pas seulement une affaire de niveau. "On ne veut pas créer une ‘équipe de migrants’", indique Luc. "Donc on essaie de répartir les jeunes reconnus mineurs dans d’autres clubs de la région. C’est un moyen aussi pour eux de s’intégrer".
Très attachés à l’idée que le sport soit un vecteur de réussite, les dirigeants de l’AL Coataudon souhaitent néanmoins que les jeunes gardent les pieds sur terre. "Il ne faut pas leur faire miroiter que leur chance se trouve dans le football, ou qu’ils vont devenir des professionnels ! S’ils sont très bons, des clubs viendront forcément les chercher. En attendant, leur chance est à l'école ou dans la formation professionnelle. Il nous arrive de leur rappeler", poursuit le président.
Mamadou, lui, l’a bien compris. Le jeune, qui est déjà
scolarisé au collège, aimerait devenir maçon et a fait un stage dans le
secteur. "Il y a besoin de gens dans la maçonnerie", affirme-t-il, sérieux.
Reste que la suite de son parcours tient encore à l’âge que lui donnera le
juge. "Je suis encore dans l’attente, c’est stressant, je ne sais pas…",
souffle-t-il. Luc interrompt la discussion. Une fois sur le terrain, l’objectif
est de profiter d’une bouffée d’air, de s’amuser, de partager la même passion
du ballon rond. Et de pouvoir laisser tous ses problèmes et tracas au
vestiaire, le temps d’une heure ou deux. Le président du club y tient : "Moi,
je ne leur demande pas de tout me raconter. D’autres associations sont là pour
ça. Ici, nous, on fait juste du foot !"
*Tous les prénoms des mineurs ont été modifiés.