Sur l’île grecque de Lesbos, des migrants du camp de Moria interrogés par InfoMigrants font état de leurs craintes après de violentes manifestations contre la construction d’un nouveau camp de migrants. Certains ont peur que la population locale ne s’en prenne à eux et préfèrent rester confinés dans le camp.
Depuis mardi 25 février, premier jour des affrontements entre les habitants de Lesbos, excédés par la construction d’un nouveau camp de migrants et les forces de l’ordre grecques, Rafih et sa famille ne sortent plus du camp de Moria.
"Une assistante sociale nous a recommandé de ne pas quitter le camp", raconte à InfoMigrants ce migrant afghan présent à Moria depuis cinq mois. Faute de pouvoir se réapprovisionner en ville, Rafih est contraint d’acheter le lait en poudre pour son fils de deux ans deux fois plus cher dans les échoppes informelles du camp.
Joint par InfoMigrants, Mohammad, un Palestinien de Moria,
déplore cette situation qui renforce l’isolement des habitants du camp.
"Aujourd’hui, on ne peut plus se rendre en ville, même si on a des choses
importantes à y faire", regrette-t-il. Il raconte qu’un ami, dont le fils
est souffrant n’a pas pu emmener son enfant chez le médecin à cause des tensions.
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Certains demandeurs d’asile ont peur que la population en colère s’en prenne à eux. "Il y a 15 jours un groupe de manifestants [anti-migrants] a essayé d’attaquer le camp de Kartibi, situé à 40 minutes à pieds de Moria", relate Mohammad. D’après lui, la police grecque serait parvenue à les stopper aux portes du camp. Cet incident, lui fait craindre que les manifestants anti-migrants ne s’en prennent cette fois à Moria.
Des dizaines de personnes, surtout des policiers, ont été blessés lors de violents #affrontements entre habitants et forces anti-émeutes à #Lesbos et #Chios sur fond de construction de nouveaux camps de migrants sur ces îles https://t.co/rij3UxAXY0 @WillVassilopoul @ArisMessinis pic.twitter.com/pg2Knt6UA1
— AFP Grèce (@afpathenes) February 26, 2020
"Les citoyens grecs ne nous aiment pas"
Prenant les devants, des migrants ont posé de grosses pierres sur la route principale reliant le camp de Moria au village de Moria situé à plus de deux kilomètres, indique Ali, un deuxième migrant palestinien réfugié à Moria depuis deux ans, contacté par InfoMigrants.
"Les citoyens grecs ne nous aiment pas. Et ce avant
même les manifestations à Lesbos. Ils sont prêts à manifester, au risque de se
faire attaquer par la police, tout ça pour nous faire partir. Ça me rend
triste", confie Mohammad.
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Les habitants de Lesbos, comme ceux de plusieurs autres îles de la Mer Égée, s'opposent fermement aux projets de construction de nouveaux camps par le gouvernement. Sur cette île, les tensions se cristallisent surtout autour de Mantamados, un village proche du site de construction du futur camp, dont le chantier est protégé par des policiers.
Mantamados est situé à plus de trente kilomètres du camp de Moria. De nouvelles manifestations ont également eu lieu jeudi à Mytilène, plus proche (9 kilomètres) du principal camp de migrant de Lesbos.
Moins de personnel dans le camp de Moria
"Ces manifestations ne vont rien changer à notre situation déjà misérable. Elle empire", constate Ali. Depuis que les protestations populaires ont commencé, le nombre d’employés grecs du camp a baissé. "Seule une personne vient pour s’occuper de nos démarches administratives au lieu de trois auparavant. Elle vient accompagnée de 20 militaires. Une personne pour s’occuper de 20 000 migrants !", déplore Ali, dont les rendez-vous administratifs ont été décalés plusieurs fois.
Des voix se lèvent pour "mettre fin au #confinement" des #demandeursd'asile en #Grèce: plus de 40.000 personnes, dont près d'un tiers sont des #enfants, vivent dans des conditions "inhumaines" sur les îles où les camps n'ont que 6.200 places https://t.co/M4wLb0pE46@ArisMessinis pic.twitter.com/PWuesgki0m
— AFP Grèce (@afpathenes) January 25, 2020
"Depuis six mois ça devient dangereux la nuit",
affirme-t-il. Durant les trajets entre le camp et la ville, plusieurs migrants
ont été dépouillés par des individus qui parlent anglais. "On ne sait pas
si ils sont grecs ou originaires d’Europe de l’Est", précise Ali.
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Dans d’autres îles, la situation est moins explosive. Ibrahim, un migrant palestinien exilé à Leros, décrit des rapports plus simples avec la population locale : "Ici les commerçants bénéficient de notre présence. Ils ont pris notre défense après une manifestation il y a trois semaines". Sur l’île de Leros, les migrants circulent en ville, et dorment parfois sur les plages sans incident, raconte Ibrahim.
Au total plus de 38 000 demandeurs d'asile s'entassent dans les camps actuels de Lesbos, Samos, Chios, Leros et Kos, officiellement prévus pour 6 200 personnes. La construction de trois nouveaux camps fermés d’ici cet été est censée remédier à la surpopulation actuelle. Ils prendront la forme de centre de rétention fermés, où les allers-et-venues sur le reste des îles ne seront plus autorisées.