Le squat Saint-Just, à Marseille. Photo : InfoMigrants
Le squat Saint-Just, à Marseille. Photo : InfoMigrants

Surpopulation, insalubrité, incompréhension... En France, les milliers de personnes vivant dans des squats peinent à s'adapter aux mesures de confinement décrétées par le gouvernement.

À l'heure où les Français se confinent et évitent toute interaction sociale, les migrants vivant en squats n'ont, eux, souvent, d'autres choix que celui de continuer la même vie que celle qu'ils menaient avant la pandémie. C'est le cas à Rennes, dans les hangars dits des Veyettes, où environ 135 personnes vivent serrées les unes contre les autres.

"Ces personnes dorment sous des tentes dans des hangars", s'alarme Ludivine Colas, coordinatrice de l'association Utopia 56. Dans l'entrepôt des Veyettes, pas de cloison, donc pas de séparation entre les personnes. "Le confinement strict est impossible à appliquer", constate la bénévole.

Ce squat est le plus gros de l'agglomération bretonne. Ouvert en septembre 2019, il compte une quarantaine de personnes malades, dont certaines souffrent de pathologies lourdes, selon Utopia 56. "Certains ont des problèmes cardiaques, d'autres rénaux. On compte également un cas d'hépatite C et trois personnes atteintes de cancer", détaille Ludivine Colas.

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L'inquiétude concernant la santé des occupants à risque s'est récemment accrue. Juste avant la mise en application des mesures de confinement, plusieurs habitants de ce squat ont pu être relogés par la mairie de Rennes dans des hôtels. Les réquisitions de plusieurs autres établissement ont été demandées à l'Etat "mais il y a un manque de soutien apporté à la population qui reste dans ces squats", commente encore Ludivine Colas, parlant de problèmes de violences, d'addictions et de pathologies psychiatriques.

À quelques kilomètres de là, toujours à Rennes, une grande bâtisse en attente de travaux appartenant à la municipalité et nommée "le manoir du Bois-Perrin" sert d'hébergement temporaire pour une soixantaine de personnes. "Elles voudraient se confiner mais il n'y a ni électricité ni eau chaude sur les lieux. Les occupants sont obligés de se déplacer pour recharger leur batterie de téléphone", affirme encore Ludivine Colas. "Avoir de l'électricité et du chauffage est une priorité pour pouvoir permettre un confinement."

"130 personnes dans 200 mètres carrés"

Sur le territoire français, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement dénombre 19 000 personnes vivant en grands squats et en bidonvilles. Et plusieurs milliers d'entre elles sont, selon les associations, "laissées pour compte". Elles se retrouvent désormais dans une situation "floue" en termes d'organisation. 

"La question majeure, c'est celle de l'accès à l'aide alimentaire", assure Nathalie Godard, responsable plaidoyer France chez Médecins du monde. "De nombreuses personnes ne peuvent pas se munir des attestations de déplacement demandées par le gouvernement pour des raisons logistiques évidentes. Certaines des personnes dont nous parlons ne sont pas lettrées. Elles se déplacent donc moins qu'avant jusqu'aux points de distribution de nourriture, distributions qui se sont de toute façon raréfiées."

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À Paris et dans la petite couronne, les associations La Chorba, les Restos du Coeur, l'armée du salut et Utopia 56 ont paré à ce manque en récupérant "des stocks de denrées non périssables" pour les populations des squats.

"On leur a aussi livré des produits d'hygiène pour qu'ils puissent se laver les mains", indique Yann Manzi, membre de l'association Utopia 56 en Ile-de-France. Ce dernier évoque la situation "incroyable" d'un lieu de la région parisienne dont il ne préfère pas révéler l'emplacement exact. "Il y a 130 personnes dans 200 mètres carrés, les gens vivent les uns sur les autres. Il y a des lits partout et un seul point d'eau", décrit-il. "Des dispositifs d'accueil doivent s'ouvrir pour ces personnes mais pour l'instant on attend..."

Ces derniers jours, quatre gymnases ont été ouverts dans la capitale, afin d'héberger respectivement des familles, des mineurs étrangers, des hommes seuls et des réfugiés, indique-t-on à la mairie de Paris. En raison d'un manque de travailleurs sociaux, l'ouverture de plusieurs autres gymnases est pour l'instant en suspens, précise la même source. Deux autres lieux, censés accueillir des personnes à la rue malades du coronavirus présentant des symptômes légers, ont été créés.

"Avec le confinement, certains ont perdu leur travail au noir"

À Marseille, aucune ouverture de lieu ne devrait avoir lieu. Dans le squat Saint-Just, un bâtiment appartenant au diocèse et dans lequel résident environ 200 personnes, les associations ont pris leur disposition tant bien que mal après l'annonce des mesures du gouvernement contre le coronavirus.

"Nous interdisons désormais l'entrée de nouvelles personnes dans le squat, que cela soit les nouvelles admissions ou les visites de la part des amis des occupants", commente Justine, membre du Collectif 59 Saint Just. "Des personnes prennent aussi systématiquement la température de ceux qui sortent de leur chambre pour venir chercher à manger le matin et nous avons fourni des attestations dérogatoires à tout le monde."

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Mais beaucoup acceptent mal cette nouvelle situation. "Avec le confinement, certains ont perdu le travail qu'ils effectuaient 'au noir'. Ils n'ont plus d'argent et ne peuvent plus faire les courses. On leur fournit de la nourriture mais ils ne peuvent plus fumer par exemple."

À Saint-Just, où chaque famille dispose d'une chambre et où les mineurs sont logés dans des dortoirs de 5-6 personnes, une forme d'incompréhension s'est même installée. "Les gens ne saisissent pas trop pourquoi tout a changé du jour au lendemain", constate Justine. Une seule personne - une femme enceinte - a accepté une solution de relogement en hôtel proposée par Médecins du monde. Les autres ont préféré ne pas être isolés. La journée, les parties de football dans la cour du bâtiment continuent, tout comme les rassemblements dans les salles communes.

"Le confinement a l'air d'être la meilleure chose au monde dans la bouche d'Emmanuel Macron mais tout le monde ne peut pas le respecter", dénonce encore Justine, qui pointe l'absence de matériel de prévention sanitaire, tels que gels hydroalcooliques et masques. "Nous avons l'impression que le pays avance à deux vitesses et que nous, nous n'allons pas dans la bonne direction."

 

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