A Ikambere, le partage d'un repas gratuit a lieu chaque jour pour permettre de créer du lien entre ces femmes migrantes et séropositives. Illustration : Jano Dupont, Les Editions de l'Atelier
A Ikambere, le partage d'un repas gratuit a lieu chaque jour pour permettre de créer du lien entre ces femmes migrantes et séropositives. Illustration : Jano Dupont, Les Editions de l'Atelier

InfoMigrants s'est entretenu avec l'auteure du livre "Ikambere, la maison qui relève les femmes". Il raconte le quotidien de femmes à la fois exilées et atteintes du sida. C'est grâce à l'association Ikambere, en Seine-Saint-Denis, autour d'un repas, d'une séance de sport ou encore de discussions, que ces femmes ont pu renaître et accepter la maladie.

Démographe et directrice de recherche à l'Institut de recherche pour le développement, Annabel Desgrées du Loû jongle plus souvent avec des chiffres qu'avec des parcours de vie. C'est "un coup de coeur" pour Ikambere qui la pousse à accepter de réaliser l'année dernière un ouvrage sur cette association située au nord de Paris, à Saint-Denis, dont la vocation est d'accompagner les femmes à la fois migrantes et séropositives.

Ikambere a vu le jour à l'initiative de Bernadette Rwegera en 1997 alors que le fléau du sida était forcément synonyme d'agonie et de mort. Bien qu'aujourd'hui des traitements permettent aux séropositifs de réduire la charge virale, ils doivent relever d'autres défis comme ceux de comprendre, accepter et vivre avec la maladie. Pouvoir en parler sans peur du jugement est d'autant plus essentiel pour les femmes exilées qui ont tout une vie à reconstruire loin de leur pays d'origine, de leurs familles et de leurs repères. En un peu plus de 20 ans, quelque 3 500 femmes ont été accompagnées par Ikambere.

Avec son ouvrage "Ikambere, la maison qui relève les femmes" (Éditions de l'Atelier), Annabel Desgrées du Loû a voulu rendre hommage et transmettre "la parole de femmes puissantes qui se sont relevées, qui sont sorties du gouffre où les avait plongées l'annonce de la maladie, le rejet des leurs et l'exil". L'auteure raconte avoir passé un après-midi par semaine pendant quatre mois sur place. La vingtaine d'employés de l'association, ainsi qu'une dizaine de ses bénéficiaires, ont accepté de se livrer pour que leurs témoignages fassent avancer la cause. InfoMigrants s'est entretenu avec l'auteure Annabel Desgrées du Loû.

InfoMigrants : Qui sont ces femmes migrantes et séropositives qui poussent la porte d'Ikambere ? Qu'y trouvent-elles ?

Annabel Desgrées du Loû : Il peut s'agir de femmes qui rejoignent leur mari installé en France ou qui décident de tenter seule l'aventure de l'Europe et qui, à leur arrivée, vivent dans la plus grande précarité. Bien souvent, elles n'ont pas de logement, elles sont au 115. Il arrive aussi qu'elles aient été hébergées puis mises dehors après la découverte de la séropositivité.

C'est généralement une fois en France, à l'occasion d'une grossesse ou d'un pépin de santé qui les amène à se rendre à l'hôpital, qu'elles découvrent qu'elles ont le virus du sida. Des tests de dépistage sont presque systématiquement réalisés pour les migrantes africaines. Dans tous les cas, ce sont des femmes qui se sentent extrêmement seules. L'annonce de la séropositivité est un coup de tonnerre. Elles n'osent même pas en parler à leur mari ou leurs enfants.

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Elles sont envoyées à Ikambere directement par le médecin qui les a diagnostiquées ou parfois par une médiatrice de santé de l'association qui assure des permanence dans plusieurs hôpitaux de la région parisienne. À Ikambere, elles trouvent un foyer, une maison, un soutien familial et psychologique afin d'apprendre à vivre avec la maladie. Il y a aussi un soutien matériel. Il s'agit parfois d'une petite aide financière, de colis alimentaires ou encore d'une assistance administrative pour accéder à un titre de séjour, un logement ou une activité professionnelle.

Chaque jour, un repas du midi est offert. Pour certaines, c'est tout ce qu'elles auront de toute la journée. C'est un moment de partage où l'on propose à la femme de venir à table, d'être servie par l'équipe et la directrice, de manger un repas bon et équilibré servi dans de jolies assiettes etc. Elles sont accueillies comme elles le seraient chez elles, pas besoin de payer ni de s'inscrire, pas de pression ni de jugement. Les nouvelles sont prises en main par les anciennes, ça rigole, les enfants sont les bienvenus, certaines femmes viennent même aider à la préparation du repas.

IM : Comment vivent les femmes immigrées en France avec la maladie ? Quelles sont les principales difficultés qu'elles rencontrent ?

A.D.L. : Leurs principales difficultés sont des problèmes "classiques" d'immigrés arrivant en France : trouver un logement à soi et ne plus être ballottée, où trouver de la nourriture, s'insérer dans le tissu professionnel, trouver des formations… Ce qui revient le plus chez les plus précaires, c'est de loin l'absence de logement.

Étrangement, la maladie est beaucoup moins difficile à gérer que le quotidien type d'un migrant en région parisienne. Car une fois que le diagnostic est posé, les assistantes sociales d'Ikambere aident les femmes à faire rapidement une demande de titre de séjour pour soins. Elles obtiennent immédiatement un récépissé qui ouvre au séjour régulier et garantit un accès au système de santé.

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Toute la mobilisation autour du VIH est très ancienne, les procédures sont donc fluides. Et dans la communauté africaine, l'information selon laquelle le VIH permet de faire une demande de titre de séjour pour soins est bien connue. Pour ces migrantes séropositives, le domaine de la santé est celui où ça se passe le mieux, tout s'enchaîne très vite et elles sont bien prises en charge.

Au final, pour elles, le VIH est plus un problème social que purement médical. Il est bien plus difficile de leur faire comprendre qu'elles peuvent vivre avec le VIH et qu'elles peuvent sortir de la stigmatisation pour, à terme, réussir à s'intégrer dans la société avec ce challenge en plus qui est le leur. Il est aussi difficile de rompre leur isolement, certaines faisant le choix de ne rien dire à leurs proches. Elles vivent dans la honte avec une image extrêmement dégradée.

IM : Comment Ikambere parvient à redonner goût à la vie à ces femmes meurtries ?

A.D.L. : La clef est en premier lieu de redonner la confiance et l'estime à ces femmes. Quand on parle des associations d'aide aux migrants, on pense généralement à l'aspect purement matériel. Mais en fait, la première chose essentielle pour ces personnes qui sont fracassées par la nouvelle de leur maladie, c'est l'écoute et l'accueil inconditionnel (notamment autour du repas) que propose l'association.

Les bnficiaires dIkambere peuvent se dfouler sur des vlos elliptiques ou encore amliorer leur posture grce  des cours de Pilates Illustration  Jano DupontEnsuite, il y a toutes les activités autour du corps comme des séances de sport, de danse, de diététique, de socio-esthétique. Ces activités sont essentielles, elles participent à la reconstruction de ces femmes, à leur renaissance. En plus de leur maladie, certaines ont aussi subi des violences dans leur pays d'origine et bien souvent sur la route migratoire. D'autres ont été contraintes de se prostituer contre un toit à leur arrivée en France. Avec les séances de socio-esthétique, elles apprennent par exemple à prendre soin d'elles, à se regarder de nouveau dans un miroir. Pour certaines, c'est la première fois qu'elles se redécouvrent depuis leur diagnostic.

Les groupes de parole sont aussi essentiels. Il y a par exemple le groupe mère-enfant qui permet aux jeunes femmes de venir avec leurs bébé et d'échanger sur leur quotidien et sur des sujets tabous. Même chose avec les femmes plus âgées qui ont constitué leur propre groupe de parole, "les femmes-roseaux" car, disent-elles, celui-ci plie mais ne rompt pas tout comme le sida a voulu les emporter, mais elles sont toujours debout.

IM : Comment se passe le suivi et l'accompagnement des bénéficiaires pendant le confinement ?

A.D.L. : En ce moment la maison est évidemment fermée (ndlr: en raison de la pandémie de Covid-19), mais l'esprit continue. Deux assistantes sociales appellent tous les jours les femmes qui se trouvent dans des conditions difficiles. Elles font aussi des visites dans les centres d'hébergement et dans les hôtels sociaux pour leur apporter par exemple des colis. Toutes les bénéficiaires peuvent joindre l'association car le personnel sait que c'est une période très complexe et que les règles ne sont pas claires pour tout le monde, surtout les migrants tout juste arrivés. 

Récemment, une bénéficiaire a voulu aller faire ses courses au marché de Château-Rouge dans le nord de Paris, mais il était à plus d'un kilomètre de son domicile comme le prévoit les règles de confinement. La police a donc voulu verbaliser cette femme qui a eu le réflexe d'appeler immédiatement Bernadette (Rwegera, la directrice, NDLR). Cette dernière a expliqué et défendu sa bénéficiaire auprès de la police qui a accepté d'annuler la contravention. C'est important de maintenir le lien avec ces femmes, certaines n'ont que cela.

 

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