Dans une petite maison d'Épinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, un groupe de neuf jeunes hommes migrants vivent dans l'espoir que l'État reconnaisse leur minorité et, ainsi, les prenne en charge. Une parenthèse dans leur parcours, après la route de l'exil et la vie à la rue, faite d'attente et d'activités simples.
Sous la table basse du salon, une grosse boîte en plastique est remplie de jeux de société. Samba, un Malien qui dit avoir 15 ans, saisit un plateau de dames chinoises : ''Ça, je sais y jouer'', sourit-il, en montrant l'une de ses principales occupations durant le confinement qui vient de se terminer.
Jeux mais aussi devoirs. Parmi les occupants de cette maison située au bout d'une impasse fleurie et tranquille d'Épinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, Samba fait partie des quelques chanceux qui sont scolarisés. N'ayant jamais été à l'école auparavant, il a intégré une classe NSA (pour les élèves "non scolarisés antérieurement") dans un collège de Bondy, une ville voisine. "Je continue à faire des exercices de maths et de français à distance", explique-t-il en cet après-midi de la mi-mai.
Maîtriser le français et aller à l'école sont des priorités pour Samba, comme pour les autres occupants de cette maison mise à la disposition de mineurs non accompagnés (MNA) par Médecins sans frontières (MSF) et l'association Utopia 56. Mais, plus que tout, les neuf migrants qui vivent sous ce toit, originaires du Mali, de Côte d'Ivoire, du Sénégal et de Guinée Conakry, s'accrochent à l'espoir que l'État français reconnaisse leur minorité et les prenne ainsi en charge. Tous disent être âgés de 16 ou 17 ans. Mais l'État français en a jugé autrement : pour lui, aucun d'entre eux n'est mineur.
"Ils ont déposé des saisines auprès d'un juge [pour contester ces décisions] mais, pendant le confinement, toutes les audiences ont été stoppées", explique Fanny Haddad, employée d'Utopia 56 qui vit avec eux, se charge des courses et du bon fonctionnement de la vie en collectivité. Pendant le confinement, les tribunaux en France ont en effet recentré leurs activités autour des affaires "essentielles", mettant ainsi un coup de frein aux dossiers de ces migrants. Et pendant que les procédures piétinent, les jeunes prennent racine : si la durée moyenne de leur passage dans cette maison était auparavant de trois semaines ou un mois, il n'est désormais pas rare qu'ils restent trois mois.
"Saisine", "aide juridictionnelle", "jugement supplétif''
Cette maison fait partie des différentes solutions d'hébergement accessibles aux MNA, dont l'hôtel Passerelle à Neuilly-Plaisance, des hôtels d'urgence et des hébergements solidaires. Des options censées les soulager le temps d'une procédure parfois tortueuse et à l'issue hautement incertaine.
"Je ne comprends rien à ce qu'il se passe", avoue Mody Niakaté, originaire de la région de Kayes, dans l'ouest du Mali, qui a rejoint ce dispositif il y a cinq mois. Portant un jogging et les cheveux coupés à ras sur les côtés, le jeune homme se réveille d'une sieste, devenue une routine quotidienne pendant ce mois de ramadan, et se met à taper dans un ballon dans le petit jardin derrière la maison.
"Je ne fais rien de mes journées, je me fais simplement du souci. Je pense à la décision du juge...", dit le garçon malentendant, dont les propos sont traduits et déchiffrés par l'un de ses amis vivant aussi là.
La jeunesse de Mody Niakaté, qui sera majeur "à la fin de l'année" assure-t-il, a été émaillée d'une succession d'expériences malheureuses et traumatisantes. "Au Mali, on manquait de nourriture, ma famille était pauvre", explique-t-il. À l'aide d'une somme d'argent donnée par son oncle, il s'envole pour le Maroc puis prend place à bord d'un bateau pour traverser la Méditerranée. Direction la France, un pays "génial" dont il entendait du bien au Mali. À son arrivée, il vit quatre mois à la rue dans le quartier de Rosa Parks, dans le nord de Paris, avant d'être pris en charge par des associations. Aujourd'hui, il n'a plus de nouvelles de son oncle, dernier membre de sa famille avec qui il était encore en contact.
Chacun des occupants de la maison d'Épinay est passé par la rue et a vécu une traversée en mer, faite de "difficultés et de souffrances", sur laquelle ils ne préfèrent pas s'attarder. Désormais logés et nourris, leurs soucis ont changé de nature.
>> À (re)lire : Mineurs non-accompagnés : tout savoir sur votre prise en charge à votre arrivée en France
Les mots "saisine", "aide juridictionnelle" ou "jugement supplétif" sont entrés dans le vocabulaire de ces Africains, sans qu'ils ne sachent exactement ce qu'ils signifient. "J'ai une convocation au tribunal pour le 30 mai. Je vais pouvoir déposer mon dossier", explique dans un sourire Bah Demba, Malien lui aussi, qui s'inquiète de l'issue de son recours car il n'a pas son extrait d'acte de naissance avec lui.
À ses côtés, Mory, originaire de Yamoussoukro en Côte d'Ivoire, s'impatiente, même si il n'est dans cette maison que depuis trois jours. Les deux garçons partageaient cet hiver une tente près de la Porte de la Villette, "deux mois dans le froid, sous la pluie et le vent". "C'est normal que l'on attende [une issue à notre situation], reconnaît Mory. Mais là, ça commence à faire long."
Cuisine et corvées de ménage
En attendant la fin de ce parcours administratif, qui inclut une étude des papiers d'état civil, un entretien d'évaluation pour retracer l'exil de l'intéressé et, parfois, un examen osseux, la vie s'est organisée dans la maison d'Épinay.
Le planning des repas est affiché sur le frigidaire : chacun à son tour participe à la cuisine, même chose pour les corvées de ménage. La nuit, les prières se font de manière collective. La journée, des bénévoles font régulièrement le déplacement pour donner des cours de français, surtout à ceux qui ne sont pas scolarisés.
L'équipe médicale de MSF veille par ailleurs sur ce petit groupe. "Quand on est un mineur sans représentant légal, l'accès aux soins peut être compliqué", explique Gilles, un infirmier de l'ONG qui assure un suivi administratif des dossiers médicaux des migrants.
"Il est arrivé par exemple qu'un jeune ait besoin de soins chirurgicaux et que des centres hospitaliers refusent de s'occuper de lui. Dans ce cas, on intervient et on leur met la pression", poursuit-il. "Durant le confinement, il y avait aussi une psychologue qui venait une fois par semaine pour ceux qui avaient besoin de parler", ajoute pour sa part Fanny Haddad.
"Je me sens libre"
Cette dernière a essayé de créer un semblant de foyer entre ces murs. "J'ai ramené la guitare de ma soeur ainsi que mes jeux et mes livres d'enfance", dit-elle avec enthousiasme. Les murs de la grande entrée ont également été recouverts de dessins faits par les uns et les autres.
Des attentions appréciées par les jeunes hommes. "Je me sens libre ici", lance Bah Demba. "Au début du confinement, MSF m'avait placé dans un hôtel à Porte de la Chapelle. Je ne savais pas quoi faire, je me sentais emprisonné. Ici, il y a un ballon, des gens sympas, un petit jardin et je dors bien la nuit. J'ai toujours des soucis, évidemment, mais ça diminue petit à petit."
"On s'entend bien entre nous", se contente de dire timidement Brahima, lycéen originaire de Bamako scolarisé à Rosny-sous-Bois, alors qu'il prend le soleil assis sur une chaise. L'air absorbé dans ses pensées, il sait que la maison d'Épinay n'est qu'une étape et que la décision négative d'un juge pourrait tout faire changer. "Si cela arrive, on essaiera de trouver d'autres solutions pour les garder dans le système", évoque Fanny Haddad. Comme "des demandes de visa, par exemple".