La météo clémente et le ralentissement de la circulation des camions à cause de la crise du coronavirus poussent de plus en plus de migrants à délaisser les voies terrestres pour gagner l'Angleterre en traversant la Manche sur des canots de fortune. Ceux qui réussissent risquent une expulsion immédiate à leur arrivée.
Des dizaines de migrants ont encore pris la mer pour tenter de gagner l'Angleterre ces derniers jours. Côté français, la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord indique avoir secouru 20 migrants, jeudi 21 mai, dont deux femmes, deux enfants et deux nourrissons sur une petite embarcation de fortune dont le moteur était tombé en panne. Tôt vendredi matin, six migrants ont également été stoppés au large de Calais à bord d’une petite embarcation. Côté britannique, les autorités ont annoncé avoir intercepté cinq bateaux transportant 57 personnes pour la seule journée de jeudi.
[#Opération] Sauvetage d’une embarcation de 6 migrants en difficulté dans le chenal du port de Calais (62) par la VCSM Scarpe de la #gendarmerie maritime sous la coordination du #CROSS Gris-nez ➡️https://t.co/XtkB6d5cmT pic.twitter.com/SiFxhBwtlr
— PREMAR Manche (@premarmanche) May 22, 2020
"Chaque nuit, ce sont cinq, six, sept, peut-être huit bateaux qui sont arrêtés sur les plages ou en mer", rapporte François Guennoc, vice-président de l'association l'Auberge des migrants à Calais, joint par InfoMigrants. La première raison pouvant expliquer ces pics de départ sont les conditions météo clémentes. "Nous avons eu un automne et un hiver particulièrement pluvieux et venteux. Depuis la mi-mars, les conditions sont extrêmement favorables et les nuits sont calmes en mer", précise François Guennoc.
Nombre record de traversées pendant le confinement
Sur la base des chiffres français et britanniques tenus à jour par l'Auberge des migrants depuis octobre 2018, le taux de réussite des traversées par la mer est passé de 60 à près de 80% depuis le confinement décrété en France le 17 mars. "Cela encourage plus de migrants à emprunter cette voie de passage extrêmement dangereuse", rappelle François Guennoc. "D'autant plus que le port de Calais a connu une forte diminution de son activité à cause du confinement. Il y a donc moins de camions qui passent, moins d'embouteillages et moins de ralentissements permettant aux migrants voulant emprunter la voie terrestre de sauter dans les véhicules."
Au-delà du simple retour des beaux jours, le confinement semble donc avoir joué un rôle déterminant dans les traversées maritimes. "Entre le 1er janvier 2020 et le 30 avril, 91 tentatives de traversées impliquant 1 280 migrants ont été recensées. En comparaison, sur l'ensemble de l'année 2019, nous avons compté 203 tentatives de traversées impliquant 2 294 migrants", indique à InfoMigrants une porte-parole de la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord, responsable de surveiller près de 900 kilomètres de côtes.
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Ces chiffres ne prennent pas en compte les actions menées à terre, sur le littoral ou directement sur les plages. La préfecture du département du Pas-de-Calais a listé 79 tentatives de traversée déjouées pour le seul mois d'avril (sur les plages ou en mer, pouvant chacune inclure plusieurs migrants), dont 38 en territoire français et 41 côté britannique. Au total, 230 ont été enregistrées depuis le début de l’année. Avril est "le mois ayant connu le plus d'événements", selon la préfecture, citée par l'AFP.
Outre le confinement, François Guennoc souligne que les traversées en mer sont aussi particulièrement rentables pour les passeurs qui poussent les migrants à emprunter cette voie. "Hier, nous avons trouvé sur la plage les emballages de deux canots pneumatiques. Si vous y ajoutez un petit moteur cinq chevaux, le coût pour le passeur est de 1 700 euros. Il fait ensuite payer entre 3 000 et 4 000 euros par personne pour la traversée, et entasse au moins six personnes par bateau", détaille François Guennoc qui ajoute que la zone de départs s'est désormais élargie jusqu'à la Baie de Somme.
Opération Sillath : renvoyer tous les migrants vers la France
Côté britannique, le ton se durcit face à l'augmentation des arrivées. D'après une enquête du quotidien The Guardian, le Home Office (l'équivalent du ministère de l'Intérieur) a lancé une opération baptisée "Sillath" qui consiste à expulser automatiquement les migrants arrivant par bateaux sur les côtes anglaises. En vertu du règlement Dublin encore en vigueur pour quelques mois au Royaume-Uni, un pays européen est en droit de renvoyer un migrant vers l'autre pays membre d'où il vient, l'asile devant être demandé dans le premier pays européen foulé par le migrant. Ce dernier reste toutefois en droit de déposer un dossier de demande d'asile dans n'importe quel pays où il se trouve.
Pour autant, un groupe de militants et d'avocats ont découvert que depuis le lancement de l'opération Sillath, les migrants arrivant par bateaux étaient immédiatement renvoyés vers la France sans que leur dossier ni leur situation administrative ne soit correctement étudiée. Une avocate travaillant sur ce dossier a qualifié cette pratique de "violation choquante du droit européen".
Début mai, Priti Patel, la ministre britannique de l'Intérieur, avait réaffirmé lors d'un échange avec son homologue français, Christophe Castaner, sa volonté de coopérer pour faire cesser le trafic de migrants dans la Manche. Selon un article du Telegraph, la ministre aurait même initié des négociations afin d'obtenir l'aval des autorités françaises pour renvoyer systématiquement les migrants arrivant par la mer.