L'Albanie peine à gérer les arrivées demandeurs d'asile sur son sol, selon des ONG d'aide aux migrants | Photo: picture -alliance / dpa/ K. Nietfeld
L'Albanie peine à gérer les arrivées demandeurs d'asile sur son sol, selon des ONG d'aide aux migrants | Photo: picture -alliance / dpa/ K. Nietfeld

D’après une enquête du magazine Balkan Insight, de plus en plus de migrants vivant dans des structures d’accueil en Albanie sont réduits à faire la manche pour trouver de quoi manger.

"A l’aide, nous avons faim", raconte Khaled au magazine Balkan Insight.

Le Palestinien affirme avoir déposé une demande d’asile en Albanie. Il vit dans le Centre d’accueil national, un établissement géré par l’Etat à Babrru, en banlieue de Tirana, la capitale albanaise. Khaled espère, selon l’article, trouver "du pain, des biscuits et des conserves".

Dans son centre, Khaled dit recevoir un peu de pain, des bouts qui ne sont pas plus grands que la moitié de sa main, et un peu de "bouillie immangeable". Pour le reste, Khaled dépend de la charité, ce qui peut s’avérer difficile dans un pays pauvre et gangréné par la corruption comme l’Albanie.

'Un pays de transit'

L’agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR) décrit l’Albanie comme "un pays de transit" pour les migrants, demandeurs d’asile et réfugiés. La plupart ne veulent pas s’y arrêter et espèrent rejoindre l’Italie ou des pays plus riches du nord de l’Europe. Cependant, avec la fermeture progressive de la route des Balkans, de plus en plus de migrants ont fini par se retrouver bloqués en Albanie.

Selon les chiffres du HCR et les dernières statistiques fournies par le gouvernement albanais, le nombre d’arrivées de migrants en Albanie avait fortement progressé en 2018. Le HCR rapporte "une multiplication par cinq du monde d’arrivées en 2018 et 14 fois davantage de demandes d’asile", avec plus de 5.700 arrivées et près de 4.400 demandes d’asile.

Par ailleurs, Balkan Insight a réussi à se procurer des chiffres de la police des frontières albanaise qui détiendrait actuellement plus de 11.300 migrants sans papiers. 

La police patrouille le long de la frontire entre lAlbanie et la Grce  Photo DWA Topi

Mendier pour s’en sortir

Selon le magazine, Khalid fait partie des centaines de personnes à devoir faire la manche, bien que hébergés dans un centre géré par l’Etat. Le HCR, qui soutient des initiatives du gouvernement albanais pour aider les migrants, explique de son côté que le centre de Babrru a été construit à l’origine pour 180 personnes avant d’augmenter sa capacité de 200 places en 2018 face à la pression des arrivées. Mais d’après les témoignages obtenus par Balkan Insight, le centre est largement surpeuplé et semble échapper au contrôle des autorités.

Certains affirment que ce sont des gangs font la loi, qui volent de la nourriture et agressent les résidents.

L’identité de ces gangs reste floue mais le reportage laisse à penser qu’il s’agit de migrants qui vivent déjà depuis un certain temps dans le centre, plutôt que de gangs qui viendraient de l’extérieur.

Par ailleurs, certains migrants auraient été refoulés à leur arrivée au centre de Babrru, malgré le froid, sous prétexte de mesures de confinement dues à la pandémie de Covid-19.

Manque de stratégie de l'Etat

En 2017, un rapport du Comité d’Helsinki pour l’Albanie, une ONG de défense des droits de l’homme, "le respect des standards en matière de droit de l’homme des réfugiés et des demandeurs d’asile en Albanie n’est pas totalement conforme avec les standards et pratiques internationales. Notre pays manque de capacités d’accueil nécessaires pour les réfugiés et demandeurs d’asile et ne peut pas leur assurer des services de base comme de la nourriture, des soins de santé, des services sociaux, de l’hébergement, du travail, une assistance juridique gratuite etc".

D’après l’ONG, l’Albanie manque d’une "stratégie multidimensionnelle en matière de gestion migratoire". Le Comité d’Helsinki note un "manque de soutien de l’Etat aux personnes les plus vulnérables" et affirme que, à la date du rapport en 2017, le ministère de la Migration ignorait encore complètement le phénomène des migrants sans papiers. Et si des choses ont pu évoluer entre 2012 et 2017, c’est notamment grâce à l’aide d’organisations internationales comme Caritas, le HCR et l’Organisation mondiale pour la migration (OIM)

Enfin, le rapport du Comité décrit aussi plusieurs cas d’usage de la force à l’encontre d’étrangers sans papiers. Des Iraniens auraient ainsi été "agressés violemment par la police des frontières à Gjirokastra", dans le sud de l’Albanie.

Le devoir d’aider

L’ONG appelle les forces de l’ordre à cesser d’utiliser des phrases comme "pas d’asile en Albanie" quand ils s’adressent à des demandeurs d’asile et à suivre davantage de formations pour apprendre à "assurer un traitement digne et respectueux à chaque étranger sans préjugés."

Le plus grand nombre de demandeurs d’asile en Albanie viennent de Syrie, "suivi de près par le Maroc et l’Irak", écrit le Balkna Insight, qui affirme que l’Etat albanais ne dépense pas plus de 2,60 euros par jour par migrant".

Frontex va surveiller les frontires albanaises  Photo EPAVASSIL DONEV

Le rapport questionne enfin le traitement des mineurs non accompagnés, sanctionnés des manière disproportionnée pour avoir traversé la frontière illégalement.

Ce mois-ci, Erida Skendaj, la directrice du Comité d’Helsinki pour l’Albanie, a expliqué à Balkan Insight que l’Etat albanais "avait le devoir de se conformer à des standards qui découlent de sa signature de traités internationaux" mais aussi de fournir aux migrants résidents dans les centres d’accueil de l’argent de poche. Selon le magazine, le ministère albanais de l’intérieur réfute ces allégations.

'Nous faisons de notre mieux'

"Le personnel du centre fait de son mieux pour être au service des demandeurs d'asile du matin au soir", rétorque le ministre délégué de l’Intérieur Rovena Voda. Elle est responsable des questions relatives aux réfugiés et au droit d’asile dans son ministère. Selon elle, les centres n'assurent "pas seulement de la nourriture mais aussi une assistance médicale".

Balkan Insight a aussi reçu une réponse des autorités chargées du Centre d'accueil national qui admettent avoir eu affaire à des cas de violence, mais que ceux-ci ont pu être "résolus avec l’aide de la police". En revanche, le magazine dit ne pas avoir reçu de réponse concernant ses questions sur l’approvisionnement en nourriture dans le centre.

'Manque de nourriture'

Le médiateur national (National Ombudsman) en Albanie a inspecté le centre en avril 2019 et a confirmé au magazine que "la manière dont sont traités les personnes hébergées reste problématique". Il a constaté "un manque de nourriture" et "un manque de personnel pour assurer des soins médicaux et des services sociaux.  Des problèmes d’effectifs sont particulièrement constatés dans l’après-midi et la nuit. L’appel à renforcer le personnel a selon le médiateur été ignoré par le ministère de l’Intérieur.

Un résident algérien a ainsi expliqué avoir particulièrement peur la nuit. Il dit avoir été dévalisé en arrivant au centre et que ses plaintes sont restées lettres mortes. "La nuit quand les lumières s’éteignent, des bandits, la mafia attaquent les familles et on entend des enfants pleurer. Ça fait peur."

Vol et violence

Le HCR affirme que l’agence tente de résoudre certains de ces problèmes. "Le HCR est au courant des informations sur les nombreux conflits et cas de vols entre résidents au Centre d’accueil national et a fait part de ses inquiétudes auprès des autorités compétentes".

Un agent de Frontex au poste-frontire de Kapshtica en Albanie juillet 2019  Photo REUTERSFlorion Goga

Dans sa réponse, le centre cherche à minimiser les accusations, expliquant que les violences rapportées sont davantage des "prises-de-bec" et que la police a pu s’en occuper.

En attendant que la situation évolue, les résidents du centre restent bloqués et espèrent que les frontières ouvrent le plus rapidement possible. Tous expriment l’envie de "partir" le plus vite possible. 

Khaled, le Palestinien, dit qu’il espère rejoindre l’Italie, la France ou l’Espagne. "Je veux simplement travailler et aider ma famille".

Cet article s’est appuyé sur un article très fouille du Balkan Insight que vous pouvez retrouver ici : https://balkaninsight.com/2020/05/06/violence-and-hunger-stalk-refugees-and-migrants-in-albania/


Traduction et adaptation : Marco Wolter

 

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