Un canot de migrants tunisiens arrive à Lampedusa. Crédit : ANSA/ELIO DESIDERIO
Un canot de migrants tunisiens arrive à Lampedusa. Crédit : ANSA/ELIO DESIDERIO

Déçus par l'issue de différents mouvements de contestation et étouffés par une économie stagnante, de plus en plus de maghrébins veulent tenter leur chance en Europe. Le nombre de départs depuis l'Algérie et la Tunisie ont notamment explosé depuis le début de l'année.

Malgré le choc d'un récent naufrage ayant fait plus de 60 morts au large de la Tunisie, les potentiels migrants maghrébins sont toujours plus nombreux à vouloir tenter leur chance au péril de leur vie. Selon le ministère de la Défense algérien, 1 433 personnes ont été interceptées alors qu'elles tentaient de quitter clandestinement le littoral, sur les cinq premiers mois de l'année. C'est trois fois plus que sur la même période en 2019.

Kouceila Zerguine, un avocat interrogé par l'AFP et basé à Annaba, une ville côtière du nord-est de l'Algérie, estime que les chiffres réels du nombre de migrants clandestins doivent être "multipliés par 20" si l'on prend en compte ceux qui ont réussi leur traversée. D'ailleurs, à elle seule, l'Espagne a affirmé fin mai avoir accueilli plus de 1 700 Algériens sur son sol contre une centaine à la même période l'an dernier.

>> À (re)lire : Les Algériens, toujours plus nombreux à arriver en Espagne

Hamid, un Algérien de 28 ans, aimerait faire partie de ceux-là. "Ici je n'existe pas, c'est comme si je mourrais à petit feu. Mon seul espoir, c'est l'Europe", a-t-il confié à l'AFP, le regard tourné vers les eaux méditerranéennes à Annaba. Ce jeune ingénieur a un travail, mais il affirme être obligé de vivre avec ses parents, son salaire ne lui permettant pas de louer un appartement seul.

Espoirs déçus

Les raisons économiques ne sont toutefois pas les seules à pousser Hamid sur la route de l'exil. Nombre de jeunes invoquent aussi un malaise politique et sociétal profond. Le mouvement de contestation entamé au début de l'année dernière ayant conduit au renversement du président de longue date, Abdelaziz Bouteflika, avait suscité chez les jeunes l'espoir d'un avenir meilleur chez eux.

À la place, le mouvement pacifique a été encore plus durement réprimé, faisant grandir un sentiment d'injustice chez les jeunes et de régression de la société. En parallèle, l'économie du pays, largement dépendante du pétrole, a drastiquement chuté en même temps que le cours du brut. Depuis, les départs des clandestins algériens surnommés "harraga" n'ont de cesse d'augmenter.

>> À (re)lire : Près de 500 migrants entrent chaque jour en Algérie, selon l’OIM

Médecins, infirmières, policiers, chômeurs et même des familles entières, le phénomène des harraga n'épargne aucune frange de la population, explique Me Kouceila Zerguine. Ceux qui décident de partir, poursuit-il, "veulent vivre avec leur temps, ils veulent plus de liberté et de dignité". Le niveau de désespoir est tel, selon l'avocat, que les candidats à l'exil sont prêts à risquer leur liberté et leur vie plusieurs fois. Depuis 2009, en Algérie, les migrants clandestins interceptés en mer sont condamnés à six mois de prison et cinq ans pour les passeurs.

"Beaucoup d'emplois ont disparu"

Du côté de la Tunisie voisine, le constat n'est pas plus réjouissant. Les départs de clandestins à destination de l'Europe ont quadruplé sur les cinq premiers mois de l'année, comparativement à 2019, selon les données du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) de l'ONU. Bien que les Africains sub-sahariens soient les plus nombreux à vouloir partir depuis les côtes tunisiennes, de plus en plus de ressortissants tunisiens les rejoignent dans leur périple.

Là encore, nombre de jeunes ont vu leurs espoirs d'une société meilleure déçus après la révolution "du jasmin" en 2011. La pandémie de coronavirus est venue encore plus anéantir leurs projets de développement, selon Khaled Tababi, sociologue tunisien, joint par l'AFP. "Beaucoup d'emplois ont tout bonnement disparu, particulièrement dans le secteur du tourisme qui pesait très lourd", détaille-t-il.

>> À (re)lire : Une cinquantaine de migrants parviennent à entrer dans l'enclave espagnole de Melilla

Pays d'accueil, de transit et de départ, au Maroc aussi l'économie continue de pousser les migrants sur les routes et plus particulièrement le chômage des jeunes, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). "Les diasporas marocaines représentent plus de quatre millions de personnes résidant principalement en Europe, dans les pays du Golfe et aux États-Unis", indique l'agence onusienne.

En 2019, environ 74 000 tentatives "d’immigration irrégulière" à destination de l'Espagne ont été avortées, selon les autorités marocaines. Pour enrayer les flux migratoires, celles-ci ont bénéficié l'année dernière d'une généreuse enveloppe de 140 millions d'euros de la part de l'Union européenne. En conséquence, quelque 32 500 migrants sont entrés en 2019 clandestinement sur le territoire espagnol par voie terrestre ou maritime, moitié moins qu’en 2018, selon le ministère espagnol de l’Intérieur. L’Espagne a aussi apporté des aides supplémentaires à Rabat, qui se défend toutefois d’être le gendarme migratoire de l’Europe.

>> À (re)lire : Démantèlement d’un réseau de passeurs qui opérait du Maroc vers l'Espagne

 

Et aussi