Pour sa première visite à Calais en tant que ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin a annoncé la création d'une "cellule franco-britannique de renseignement" dans la lutte contre les passeurs de migrants. Les membres associatifs estiment que cette mesure ne répond pas au problème des conditions de vie inhumaines dans le Calaisis.
Au quatrième jour de sa prise de fonction, le nouveau ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a déjà multiplié les visites à travers la France. Mais pour ses premiers pas d'envergure internationale, il a choisi de rencontrer son homologue britannique, Priti Patel, à Calais, dans le nord de la France. "Un symbole fort", a commenté le ministre français originaire de la région des Hauts-de-France. Ensemble, ils ont signé, dimanche 12 juillet, une convention créant "une cellule franco-britannique de renseignement" dans la lutte contre les passeurs de migrants.
Celle-ci est composée de six policiers britanniques et six policiers français basés à Coquelles, non loin de l'ancienne "jungle" de Calais démantelée en octobre 2016, a annoncé Gérald Darmanin. "Les passeurs qui profitent de la détresse humaine [des migrants] ne sont, sans doute aujourd'hui, pas encore assez sanctionnés", a-t-il estimé, précisant que "cette phase pré-judicaire prenait effet immédiatement".
Signature d'un accord avec @pritipatel pour créer une cellule franco-britannique de renseignement.
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) July 12, 2020
Elle permettra à nos services respectifs de partager de manière opérationnelle les informations qu’ils détiennent, en particulier sur les filières de passeurs. pic.twitter.com/zI4XFN00Hl
Le ministre français a assuré que cette collaboration serait élargie très prochainement. "Nous avons conclu, avec la ministre Priti Patel, que nous devons nous revoir sans doute avant le début du mois d'août. J'irai à Londres, à son invitation, pour rendre compte des derniers arrangements que nous pourrions mettre en place." Il est "important que nos amis britanniques prennent conscience" que si les migrants viennent ici à Calais, c'est "pour passer de l'autre côté de la Manche et on a rappelé à Mme la ministre que nous avons besoin de moyens supplémentaires. Le gouvernement britannique a fait beaucoup pour la protection du littoral nord mais nous avons encore besoin de davantage de moyens tant pour le matériel que pour des hommes", a insisté Gérald Darmanin.
C'est aussi ce que réclame la maire de Calais qui a répété plusieurs fois ces derniers jours, ainsi que lors d'un échange privé avec Gérald Darmanin dimanche, "la nécessité de maintenir des effectifs suffisants de forces de l’ordre à Calais, de poursuivre la lutte contre les passeurs, de renégocier les Accords du Touquet et de déployer un nouveau contrat de territoire."
"Un épouvantail pour faire peur à l'opinion publique"
"Comme d'habitude, on fait des passeurs une priorité alors qu'on ne s'occupe pas des problèmes de fond", rétorque Gaël Manzi de l'association Utopia 56, joint par InfoMigrants. "Si les exilés sont là (à Calais et dans sa région, NDLR), c'est parce qu'on ne leur apporte pas de solution, cela fait 30 ans que ça dure. La lutte contre les passeurs c'est l'épouvantail que les politiques agitent pour faire peur à l'opinion publique et qui permet de justifier une politique de répression encore plus forte", se désole-t-il.
Vendredi, la préfecture et la police ont expulsé plus de 500 migrants d'une zone industrielle de Calais. Ils ont été conduits, parfois de force, en centres d'accueil ou de rétention administrative (CRA). La veille, une autre opération d'envergure avait aussi été menée à Grande-Synthe pour déloger plusieurs centaines de personnes ayant trouvé refuge dans les bois. "Ces expulsions ne servent qu'à montrer une belle image pour la visite de Gérald Darmanin. Sauf qu'il reste environ 500 personnes à la rue qui ont faim, pas d'accès aux douches, pas d'accès à l'eau alors qu'il fait 30 degrès. Sur le terrain, les associations sont débordées", alerte Siloé, une autre membre d'Utopia, qui affirme que la distribution de repas est, en conséquence, passée de 70 à 500 en une journée.
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Les humanitaires appellent à la suppression du règlement Dublin III qui permet actuellement aux autorités de renvoyer un migrant vers le premier pays européen qu'il a foulé, pour y déposer sa demande d'asile. Ils remettent également en cause les Accords du Touquet signés en 2003 : ils prévoient notamment le renforcement des contrôles aux frontières et ont permis le déplacement de la frontière britannique de Douvres au Royaume-Uni à Calais en France. "Il n'y a qu'en ouvrant les frontières et en laissant ces gens vivre dignement qu'on avancera", souffle Siloé. Mais Gérald Darmanin a choisi de rester fidèle à la ligne sécuritaire adoptée par ses prédécesseurs : "Nous aiderons la population du Calaisis, l'ensemble du littoral et les forces de police" à "être en lien avec nos amis britanniques dans un retour à la tranquillité", a-t-il promis.
Pas de quoi, semble-t-il, freiner les passeurs dans leurs activités qui ont repris de plus belle depuis la mi-mars. Dimanche 12 juillet, 45 migrants en détresse dans la Manche sur de multiples embarcations ont ainsi été secourus par les garde-côtes français alors qu'ils tentaient de rejoindre la Grande-Bretagne. La veille, 21 autres personnes avaient été secourues, également lors de plusieurs opérations distinctes.
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