Photo d'archive de migrants bloqués en Grèce. Crédit : Picture alliance
Photo d'archive de migrants bloqués en Grèce. Crédit : Picture alliance

Alors que la population grecque est sortie de son confinement depuis le 4 mai, les centres d'accueil et camps de migrants du pays doivent poursuivre leur quarantaine au moins jusqu'au 2 août. Une vingtaine d'associations, dont Amnesty International, dénoncent une politique "inefficace" et "discriminatoire" envers des dizaines de milliers d'exilés agglutinés dans des camps insalubres. Entretien avec Adriana Tidona, chercheuse en immigration pour Amnesty International.

InfoMigrants : Qui est concerné par cette nouvelle prolongation du confinement en Grèce ?

Adriana Tidona : Toutes les populations de migrants, réfugiés et demandeurs d'asile sont concernées. Et cette fois-ci, cette prolongation est pire que la précédente : la dernière fois, le gouvernement avait décidé que le confinement ne touchait que les migrants des centres de réception et d'identification (RIC) se trouvant sur les îles de la mer Égée. Désormais, toutes les structures d'accueil des îles, comme du continent, doivent se confiner.

Cette généralisation du confinement est totalement disproportionnée, discriminatoire et ça ne s'appuie sur aucun fondement scientifique, ni aucune étude. On a aucune preuve que les précédents confinements depuis mars aient été efficaces. La discrimination ne protège pas contre le Covid-19.

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IM : Ce confinement prolongé comporte-t-il des risques ?

A. T. : Nous sommes de plus en plus inquiets car les températures montent, nous sommes au milieu de l'été, et les migrants sont obligés de vivre dans des espaces saturés avec trop peu d'accès à l'hygiène, l'eau manque ainsi que les produits sanitaires dans la plupart des camps. Il y a un donc un risque que ces prolongement indéterminés provoquent d'importants problèmes sanitaires au sein des camps puisque les gens ne peuvent même plus sortir pour se faire soigner ou acheter des médicaments et des produits de première nécessité.

Cela n'a pas de sens surtout qu'à ce jour, il n'y a eu quasiment aucun cas de coronavirus dans les camps de migrants et les centres d'accueil. Par exemple, à Lesbos où se trouve le camp de Moria, les nouveaux arrivants sont séparés des autres afin d'éviter toute contamination.

Il est difficile d'évaluer le nombre de personnes concernées par ces mesures. Il y a plus de 30 000 migrants répartis dans les camps des îles de la mer Égée. Sur le continent, on dénombre environ 90 000 migrants, selon le HCR. Certains vivent dans l'un des 28 centres d'accueil, mais une bonne partie réside également dans le parc privé, chez des amis ou en squat. 

IM : Est-il légal de prolonger le confinement indéfiniment uniquement pour les populations migrantes comme le fait le gouvernement grec depuis le 21 mars ?

A.T. : Oui. Car le prolongement en lui-même est mis en oeuvre à partir d'un décret gouvernemental. Il s'agit toutefois d'un acte exécutif qui ne passe pas par un processus législatif ordinaire. Cela dit, on peut considérer a minima que ces mesures ne respectent clairement pas les principes internationaux et enfreignent notamment la directive de l'Union européenne (UE) sur les exigences relatives à l'accueil des demandeurs d'asile (2013/33, article 8 sur la rétention).

Il faut comprendre plus largement qu'il ne peut y avoir de santé publique sans protection de la santé des réfugiés et des migrants. La diabolisation de la population migrante qui a été observée récemment - en particulier à un moment où des efforts doivent être faits pour leur intégration harmonieuse dans le tissu social du pays - ne défend pas les intérêts réels des citoyens et porte irrémédiablement atteinte aux principes démocratiques du pays.

IM : Quel est votre message aux autorités grecques ?

A.T. : Les ONG en Grèce ont envoyé une lettre au gouvernement grec début juillet et ont dénoncé à plusieurs reprises la situation. Malgré cela, le confinement continue d'être prolongé. Nous avons donc récemment signé une lettre commune avec plus de 20 ONG en Grèce pour alerter sur la situation. On explique que le confinement met en danger les réfugiés et demandeurs d'asile, que le gouvernement devrait évaluer strictement l'efficacité du confinement et s'abstenir de perpétuer des mesures provisoires par des recours abusifs.

Nous demandons en priorité : la décongestion de toutes les structures surpeuplées, l'utilisation appropriée et flexible des fonds de l'UE disponibles pour améliorer les conditions de vie avec une transparence maximale, l'inclusion dans les soins de santé primaires de tous les groupes de migrants, y compris les demandeurs d'asile non enregistrés ou encore la fourniture de services d'approvisionnement en eau, de désinfection et d'hygiène.

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Ce gouvernement montre peu de considération à l'égard des migrants, réfugiés et demandeurs d'asile. Nous voulons leur dire que c'est contre productif et qu'on risque de provoquer des problèmes sanitaires ingérables dans ces conditions. Il est particulièrement inquiétant de voir les signaux envoyés par ce gouvernement : depuis le 1er juin, les réfugiés statutaires et détenteurs de la protection subsidiaire ont un mois, à partir du moment où ils obtiennent leur statut, pour quitter leur centre d'accueil afin de faire de la place aux autres. Ils ont un mois pour trouver un logement, un emploi ou une manière de subvenir à leurs besoins. Quelque 11 000 personnes étaient concernées début juin. Comment sont-ils censés trouver un emploi alors qu'ils sont confinés dans leur camp toute la journée. C'est totalement contradictoire.

 

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