L'association italienne ASGI dénonce des pratiques illégales à la frontière entre l'Italie et la Slovénie où un nombre croissant de migrants sont refoulés, au mépris parfois de leur souhait de demander l'asile. Rome assure être dans son bon droit en raison d'un accord bilatéral.
Pour les associations de défense des migrants, cela sonne comme un aveu. En Italie, les renvois de migrants vers la Slovénie se font parfois de manière "informelle" dans le cadre de "procédures accélérées", a déclaré dans un communiqué le sous-secrétaire du ministère de l'Intérieur, Achille Variati, le 24 juillet.
Des renvois aux contours pour le moins opaques. Selon l'association spécialisée en droit de l'immigration Italian Association for Legal Studies on Immigration (ASGI), qui a adressé une lettre ouverte au gouvernement pour dénoncer des "refoulements illégaux", ces procédures ne sont justifiées par aucun document officiel ni aucune preuve écrite.
"De cette façon, les migrants ne peuvent pas contester ces mesures", relève Caterina Bove, membre de cette association et avocate basée à Trieste, ville où arrivent la plupart des migrants venus de la route des Balkans.
Ces expulsions, effectuées vers le dernier pays traversé par des migrants, sont depuis plusieurs mois dans le collimateur des ONG, telles que le Italian Consortium of Solidarity (ICS) et Catholic charity Caritas.
Outre l'absence de documents officiels, l'ASGI dénonce le fait que les forces de l'ordre ne tiennent pas toujours informés les migrants de leur refoulement. "La police leur dit simplement de monter dans une voiture", commente Caterina Bove. "Les migrants n'ont accès à aucune information, ils ne savent pas où ils vont. Et puis ils se retrouvent en Slovénie."
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La ministre de l'Intérieur italienne, Luciana Lamorgese, a déclaré le 30 juin que plus de 300 refoulement de l'Italie vers la Slovénie avaient été menés au cours des six premiers mois de l'année. En raison de la pandémie de coronavirus et du confinement, la plupart de ces refoulements - ont eu lieu à partir de mai, souligne Caterina Bove. "Les 'pushbacks' (refoulements en anglais) sont en augmentation", observe-t-elle encore.
"Violation des lois européennes et de la convention de Genève"
Ces procédures "informelles" sont d'autant plus troublantes, selon l'ASGI et d'autres ONG, que plusieurs migrants concernés entrent en Italie pour y déposer une demande d'asile mais ne sont pas en mesure de le faire.
Des faits confirmés par le ministère de l'Intérieur, toujours via la déclaration du 24 juillet. "Sous réserve que la réadmission (comprendre le refoulement d'Italie, NDLR) soit justifié et que les autorités slovènes acceptent cette réadmission, les personnes concernées ne sont plus invitées à procéder à une demande d'asile", y est-il écrit.
Pour Caterina Bove, ce genre de déclaration est inédite. "C'est la première fois que les autorités parlent officiellement du fait que les demandeurs d'asile sont eux aussi visés par les pushbacks", observe-t-elle, étonnée. "Je ne suis pas sûre qu'ils se rendent compte de ce qu'ils ont dit. Rappelons qu'il s'agit d'une violation des lois européennes et de la convention de Genève." Selon le droit d'asile, un demandeur d’asile doit en effet pouvoir pénétrer dans un État d'accueil pour y déposer une demande.
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De son côté, le gouvernement italien défend la légalité de ces pratiques, se cachant derrière un accord de "réadmission" passé entre l'Italie et la Slovénie en 1996. Selon cet accord, un migrant en situation irrégulière peut être appréhendé de part et d'autre de la frontière, et dans un laps de temps de 26 heures après son entrée dans le pays, et être immédiatement renvoyé de l'autre côté.
Observant une hausse de l'immigration illégale, Rome a par ailleurs annoncé cette semaine, l'envoi un nouveau contingent de militaires dans la région de Frioul-Vénétie Julienne, proche de la Slovénie, une zone déjà surveillée de près par des patrouilles binationales.
"La Bosnie n'est qu'à 8 heures de voiture de Trieste"
Reste que les détails de ces expulsions sont flous. L'ASGI entend invoquer la loi d'accès à l'information afin d'être autorisée à consulter les détails "opérationnels" de ces pratiques. "Nous voulons savoir concrètement ce qui est convenu entre les polices des deux pays", déclare Caterina Bove, déterminée à porter l'affaire devant les tribunaux.
Selon des témoignages de migrants, ces refoulements peuvent prendre des proportions colossales, débouchant sur des refoulements en chaîne depuis l'Italie jusqu'en Bosnie, en passant par la Slovénie et la Croatie, grâce à des accords de "réadmission" en vigueur entre ces pays.
"La Bosnie n'est qu'à 8 heures de voiture de Trieste, explique Caterina Bove. Certains migrants nous disent être emmenés dans un centre de réception en Slovénie (le pays ne dispose que d'un seul centre d'accueil, Vič, situé dans la capitale, NDLR) puis être conduits en Croatie, à la frontière avec la Bosnie. C'est dans cette zone que les migrants affirment subir le plus de violences. Là, on les abandonne dans la forêt et on leur dit de marcher vers la Bosnie."
Une fois dans ce pays, les migrants se retrouvent ainsi rejetés hors de l'Union européenne. "Ils retrouvent là-bas des conditions de vie sans aucune dignité", affirme encore Caterina Bove. Des milliers de migrants vivent dans les camps de ce pays, dans des conditions insalubres. Pour eux, seule issue : tenter à nouveau le "game" en franchisant, à leurs risques et périls, la frontière croate.