Pertes d'emploi, risque de contamination plus élevé, isolement social, discrimination... En Allemagne, la pandémie de Covid-19 frappe particulièrement les demandeurs d'asile et les réfugiés.
"J’ai attendu si longtemps pour trouver un travail et maintenant je dois tout recommencer." Grâce à une agence de recrutement, le Nigérian Iyke Anakua a travaillé comme soudeur pendant 14 mois dans le quartier de Neukölln à Berlin. Mais, en mars dernier, il a été remercié de ses services en raisons de la pandémie de Covid-19. "C’est dur mais j’essaie de rester positif", a expliqué Iyke à l’agence de presse Reuters.
Ce père de trois enfants se considère chanceux parce que les mesures de confinement n’ont pas touché sa femme qui a pu conserver son emploi d'agent de sécurité dans un supermarché. Son revenu, ajouté aux primes de chômage de son mari, ont suffi à la famille pour joindre les deux bouts ces derniers mois.
Comparés aux citoyens allemands, les migrants sont plus touchés par la vague de chômage dû à la pandémie de Covid-19. Selon Reuters, "cela met un coup de frein aux efforts réussis du pays pour intégrer dans son marché du travail le nombre record d’1,1 millions de personnes arrivées en 2015 pour demander l’asile."
Le chômage a augmenté de 27% entre mars et juin parmi les migrants, selon le Bureau allemand du travail. Parmi les Allemands, cette augmentation est de 20%.

"Les migrants sont davantage affectés par la crise parce qu’ils occupent des emplois qui ne peuvent pas se faire depuis la maison", constate Herbert Brückner, de l’Université Humboldt de Berlin. "Il s’agit d’emplois dans les restaurants, les hôtels, le nettoyage, les transports et la sécurité."
"Derniers arrivés, premiers partis"
Depuis la levée partielle des mesures de confinement à travers l’Allemagne début juin, le secteur des services se relève doucement. Mais la faible demande et certaines restrictions continuent à handicaper les salons de coiffure, les restaurants, les hôtels et bien d’autres entreprises.
Une étude de l’Institut de recherches économiques de Cologne (IW Köln) a montré que près de 30% des demandeurs d’asile et réfugiés vivant en Allemagne ont été employés dans l’hôtellerie ou par des agences d’intérim l’année dernière, alors que les Allemands ne représentaient que près de 4% de cette main d’œuvre.
"Les migrants sont aussi représentés de façon disproportionnée dans les petites entreprises, où le niveau de protection des employés est plus faible et les mises au chômage technique plus simples et moins chères”, affirme Herbert Brückner. "Et puis il y a la règle selon laquelle le dernier arrivé est le premier à partir. Toutes ces choses mettent les migrants en situation de désavantage."
Peur de perdre son emploi et d'être contaminé
D’après une analyse de l’Institut Ifo de Munich, beaucoup de migrants et réfugiés "sont confrontés à des peurs existentielles", a cause de la situation tendue régnant sur le marché de l’emploi, notamment ceux qui travaillant dans les secteurs à bas salaires et occupent des contrats de courte durée.

Les centres d’accueil pour demandeurs d’asile ont, eux aussi, été touchés par des vagues de contamination ces deniers mois, notamment à cause de la difficulté de respecter les règles de distanciation physique alors que de nombreux espaces sont partagés par les résidents, comme les cuisines ou encore les douches.
Une récente étude de l’Université de Bielefeld a conclu que le risque d’infection dans des centres d’accueil était au moins aussi important que sur un bateau de croisière.

Stratégie d'intégration
Avec environ un employé sur cinq n’étant pas allemand, les transports représentent est également un secteur qui emploie beaucoup d’étrangers. Dans le domaine des soins et de l’aide aux personnes âgées, deux secteurs essentiels en ce moment, la part des étrangers est respectivement de 8 et de 14%.
Globalement, près d’un emploi sur cinq considéré comme essentiel en Allemagne est occupé par un étranger, qui apporte "une contribution au fonctionnement de notre société qui ne devrait pas être négligée", selon étude de l’Ifo.
"Depuis 2015, l’Allemagne a dépensé des dizaines de milliards d’euros dans sa stratégie d’intégration axée sur l’apprentissage de la langue et des formations, en espérant faire passer les nouveaux arrivants d’une situation de dépendance à une situation d’emploi", rappelle Reuters. Cette stratégie a été portée par une croissance économique solide pendant les onze dernières années et le manque chronique de main d’œuvre.
Début 2020, quatre migrants sur dix venant de Syrie, d’Afghanistan, d’Iraq, d’Érythrée, d’Iran, du Pakistan, du Nigéria et de Somalie avaient un emploi. En 2016, ce chiffre n’était que de 16 %, donc de moins de deux personnes sur dix.
Désormais, cette progression est anéantie par la crise sanitaire. On estime qu’à la fin de l’année, le nombre de migrants employés pourrait chuter de 50%.

Perte du lien social
Le coronavirus rend aussi l’intégration plus difficile. Mi-mars, l’Office allemand pour la migration et les réfugiés (BAMF) a suspendu les cours d’intégration et de langues, jusque-là obligatoires. Près de 250.000 personnes ont vus leurs cours interrompus. Le BAMF a assuré avoir dépensé quelque 40 millions d’euros pour proposer une offre en ligne le temps de cette pause imposée.
Quitter les salles de classe pour se retrouver devant son ordinateur à la maison a évidemment contribué à limiter les contacts, notamment avec des personnes dont la langue maternelle est l’allemand. "La fermeture des écoles a aussi un effet négatif sur les enfants de migrants, puisque leurs parents peinent souvent à pouvoir les aider dans leur apprentissage à domicile à cause de leur faible niveau d’allemand”, explique Wido Geis-Thöne de l’Institut économique IW Köln.
Un autre poids considérable que la crise sanitaire a ajouté à la vie des migrants est parfois l’impossibilité de retrouver ses proches à l’étranger. Seulement près de 1.900 visas ont été délivrés pendant les quatre premiers mois de cette année, avec une évolution à la baisse de mois en mois.
Enfin, le risque d’un sentiment raciste accru causé par la crise économique n’est pas négligeable. Selon un nouveau rapport sur les discriminations cité par l’étude l’Ifo, les autorités ont enregistré une augmentation des cas de discrimination basée sur l’origine ethnique, notamment au début de la pandémie.

D’après Wido Geis-Thöne, "les perspectives d’emploi pour les migrants vont être défavorables pendant un an ou deux. Mais à cause de l’évolution démographique négative, la situation globale reste favorable."
Pour le soudeur nigérian Iyke Anakua, la situation est en train de se stabiliser. Près de quatre mois après avoir été mis au chômage technique, son ancienne agence de recrutement lui a proposé de retourner à son ancien poste fin juillet.
"Je ne pouvais pas y croire", raconte Iyke. "Ils ont dit que leurs clients revenaient pour trouver des soudeurs et qu’ils avaient été satisfaits de mon travail et qu’ils me voulaient à nouveau."
Cet article est basé sur un reportage de l’agence de presse Reuters
Traduction : Marco Wolter