Une migrante attend dans un parc porte d’Aubervilliers dans le nord de Paris que l’association Utopia 56 trouve un hébergement d’urgence pour sa famille. Crédit : Mehdi Chebil
Une migrante attend dans un parc porte d’Aubervilliers dans le nord de Paris que l’association Utopia 56 trouve un hébergement d’urgence pour sa famille. Crédit : Mehdi Chebil

Selon un rapport parlementaire présenté mercredi à l'Assemblée nationale, le gouvernement peut faire mieux en terme d'intégration des réfugiés et demandeurs d'asile en France, même si des avancées notables ont été concrétisées depuis 2018. Entretien avec les deux auteurs du rapport.

"Un véritable effort a été fait mais des progrès restent à faire" : les députés Stella Dupont (LREM) et Jean-Noël Barrot (MoDem) ont présenté, mercredi 23 septembre à l'Assemblée nationale, un rapport sur l'intégration des réfugiés et des demandeurs d'asile en France. D'après ce document, les premiers sont un peu mieux lotis que les seconds qui peinent toujours à accéder à l'emploi et à la formation linguistique.

Les deux élus recommandent, entre autres, de faciliter les démarches d'obtention d'une autorisation de travail et des cours de français accessibles dès le dépôt de la demande d'asile.

InfoMigrants s'est entretenu avec Stella Dupont et Jean-Noël Barrot.

InfoMigrants : Quels sont les progrès que vous avez observés en terme d'intégration et d'emploi des réfugiés et demandeurs d'asile en France depuis 2018 ?

Stella Dupont : Concernant les demandeurs d'asile, la principale évolution à noter c'est l'autorisation de travailler six mois après le dépôt de leur dossier (à condition d'en faire la demande) contre neuf mois auparavant. C'est une belle avancée sauf que dans les faits, très peu de demandeurs d'asile accèdent au travail car c'est un parcours du combattant d'obtenir l'autorisation pour eux comme pour les employeurs qui doivent notamment payer une taxe. 

S'agissant des réfugiés statutaires, grâce à des données transmises par l'Ofii, nous avons pu constater que l'apprentissage du français avait réellement progressé. La mesure de doublement ou triplement du nombre d'heures de cours de français s'est avérée particulièrement bénéfique pour les étrangers qui avaient le plus faible niveau en langue à leur arrivée, certains ne sachant ni lire ni écrire. Grâce à l'augmentation des heures de cours, l'atteinte du niveau A1 a connu une hausse de 16%. Il faut donc poursuivre et même renforcer le dispositif. L'Allemagne va jusqu'à 900 heures de formation.

Jean-Noël Barrot : La mesure la plus efficace a effectivement été le doublement ou triplement des heures de cours de français. Il faut en revanche souligner que ceux dont le niveau de français était déjà correct et qui sont passés de 50 heures de cours à 100 heures n'ont vu aucune progression. Il faudrait donc concentrer les efforts sur ceux qui ont un faible niveau, en particulier ceux qui sont passés de 200 heures à 600 heures.

Parmi les autres progrès notables, nous avons remarqué que 9 des 10 actions de la Stratégie nationale d'intégration et d'accueil dévoilée en juillet 2018 par le gouvernement ont fait l'objet de décisions et de mesures concrètes. Une seule de ces actions n'a pas encore été concrétisée : celle qui consiste à inciter les employeurs publics à recruter des réfugiés en apprentissage. 

InfoMigrants : À l'inverse, quels sont les secteurs dans lesquels il reste encore beaucoup à faire ? Quelles mesures proposez-vous ?

Stella Dupont : L'accès au travail pour les demandeurs d'asile doit être simplifié. Pour les réfugiés c'est plus simple mais force est de constater que les coopérations entre l'Ofii et Pôle emploi en sont à leurs balbutiements. Nous n'avons par exemple aucune donnée sur le taux de chômage des réfugiés en France. On demande donc plus de transparence et on propose de créer des conseillers emplois spécialisés dans l'accompagnement des réfugiés, pour faciliter leur accès à l'emploi.

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Comme la procédure d'asile est très longue - 12 mois en moyenne - les étrangers se retrouvent en difficulté, bloqués et en attente, dès leur arrivée en France. Une étude allemande que nous citons dans notre rapport révèle que les étrangers ayant pu accéder à l'emploi dès leur arrivée sur le territoire allemand s'inscrivaient durablement dans le marché de l'emploi et s'y maintenaient. À l'inverse, ceux qui accédaient à un travail au bout de 12 mois se trouvaient durablement éloignés de l'emploi. Plus on repousse l'apprentissage de la langue et l'accès au travail, plus on place les étrangers en difficulté.

Allant de paire avec l'emploi, l'accès à la formation linguistique doit aussi arriver plus tôt. L'idéal serait que tous les demandeurs d'asile puissent suivre des cours dès le dépôt de leur dossier. Si ce n'est pas réalisable, il faudrait au moins que les demandeurs originaires de pays ayant un bon taux d'obtention de la protection internationale, comme les Afghans ou les Érythréens, puissent, eux, commencer les cours dès leur arrivée. On ne risque rien à offrir plus de cours de langues aux étrangers, bien au contraire, c'est une manière d'apprendre la culture française et de contribuer à son rayonnement. Car même si au final les demandeurs d'asile poursuivent leur chemin dans un autre pays, ils auront toujours cette petite part de notre culture avec eux, cela ne peut être que positif. 

Jean-Noël Barrot : Du côté des réfugiés, il faut mettre un coup d'accélérateur sur l'entrée dans le Contrat d'Intégration Républicaine. Car nous savons que l'acquisition de la langue est déterminante pour la trajectoire d'intégration. Actuellement, un demandeur d'asile qui devient réfugié doit attendre en moyenne un an que son dossier soit instruit, sans compter les éventuels délais de recours à la CNDA. De là, il y a encore en moyenne quatre mois d'attente entre la décision de protection et l'entrée dans la formation linguistique car il faut attendre que la préfecture délivre le titre de séjour pour débuter. Cette attente supplémentaire est inutile. 

Par ailleurs, il est essentiel de sortir du brouillard statistique dans lequel on se trouve. On ne connaît même pas le taux de chômage des réfugiés. Et bien que les demandeurs d'asile puissent demander une autorisation de travailler au bout de six mois contre neuf auparavant, cette mesure ne semble pas appliquée. Les dernières statistiques que nous avons en la matière remontent à 2017 : moins de 1 000 demandeurs d'asile ont obtenu une autorisation de travailler, soit 1% de leur nombre total. Nous préconisons plus de transparence et une simplification des procédures. 

InfoMigrants : Outre l'apprentissage du français et l'emploi, par quoi passe une bonne intégration, selon vous ?

Stella Dupont et Jean-Noël Barrot : Notre rapport ne traite que d'une infime partie de l'intégration, il y a énormément d'autres aspects qui entrent en jeu comme la question des allocations, la santé ou encore de l'intégration culturelle et sociétale. Mais la priorité absolue c'est le logement. Malgré la création de nombreuses places d'hébergement ces dernières années, on voit bien que cela ne suffit pas et que les conditions de vie de nombre d'étrangers dans notre pays sont très difficiles. 

En quoi le nouveau "Pacte européen sur la migration et l'asile" présenté le 23 septembre par la Commission européenne pourrait avoir un impact sur les demandeurs d'asile en France ?

Stella Dupont : La solidarité semble avoir été placée au cœur du pacte, ce qui n'est pas une mince affaire car en Europe, on a tendance à vouloir allier toutes les visions politiques des Vingt-Sept. Je pense que laisser la solidarité s'exprimer différemment d'un pays à l'autre n'est pas un si mauvais compromis. C'est malheureusement la décision qui semble la plus judicieuse car imposer un réfugié dans un pays qui serait hostile à son accueil et son intégration c'est le mettre en difficulté, c'est contre-productif. 

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Par ailleurs, l'électrochoc de Lesbos est réel, cela devrait donc contribuer à faire prendre conscience de l'urgence à agir et les négociations autour du texte devraient donc rapidement déboucher à une réforme concrète. Hors de question d'attendre encore des années...

Jean-Noël Barrot : Je me réjouis que la Commission européenne se soit saisie de ce sujet, cela va dans le bon sens, celui de la responsabilisation des pays et de la préservation du droit d'asile pour ceux qui en ont vraiment besoin. Mais je crois néanmoins qu'il faudra aller plus loin pour que la situation des demandeurs d'asile s'améliore significativement. À terme, l'harmonisation des procédures de demande d'asile sera nécessaire, sinon on continuera d'avoir des situations dramatiques, des hotspots inhumains et des gens qui parcourent l'Europe en mettant leur vie en danger, à la recherche d'une protection.

 

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