Une quinzaine de jeunes dont la minorité n'a pas été reconnue sont hébergés depuis le 29 septembre dans un théâtre de Seine-Saint-Denis. Crédit : Julia Dumont
Une quinzaine de jeunes dont la minorité n'a pas été reconnue sont hébergés depuis le 29 septembre dans un théâtre de Seine-Saint-Denis. Crédit : Julia Dumont

En France, les jeunes étrangers ayant été considérés comme majeurs lors de leur évaluation de minorité peuvent contester cette décision devant un juge des enfants. Mais entre le rendez-vous d’évaluation et l’audience, il peut se passer des mois pendant lesquels les jeunes sont livrés à eux-mêmes. Face à l’urgence, l’association les Midis du Mie a mis à l’abri une quinzaine de jeunes dans un théâtre de Seine-Saint-Denis.

Ce sont deux petites pièces sous un toit de tôles blanches qui servent généralement de loges d’artistes. Depuis le 29 septembre, ce recoin d’un petit théâtre de Seine-Saint-Denis* s’est transformé en dortoir pour seize jeunes étrangers. Le sol de la pièce du fond est totalement recouvert de matelas gonflables. Il a aussi fallu en installer dans la pièce principale où quelques garçons jouent aux dominos autour d’une table. Et ce soir, il faudra encore les rapprocher pour faire de la place. "On accueille un nouveau jeune qui était dehors, je vais le chercher là", lance Agathe Nadimi, fondatrice de l’association Les Midis du Mie (pour Mineurs isolés étrangers) et à l’origine de ce projet d’hébergement collectif.

Tous les jeunes qui dorment là affirment être mineurs mais l’évaluation qu’ils ont passée auprès de différents départements franciliens ont conclu à leur majorité. Ils ont donc décidé de saisir un juge pour enfants afin que leur dossier soit réexaminé.

>> À lire : Accueil des mineurs non-accompagnés en France : le point sur leur prise en charge

En attendant – ni mineurs, ni majeurs – ils n’ont nulle part où être hébergés. Révoltée par cette situation, Agathe Nadimi a trouvé pour eux cette solution d’urgence. Cette dynamique enseignante en école de commerce, n’en est pas à son coup d’essai. En janvier 2020, elle avait installé des jeunes sans hébergement dans un centre artistique de Saint-Denis. À chaque fois, c’est la même opération, il faut transporter à plusieurs voitures les matelas gonflables, couettes, affaires de toilettes et jeux accumulés au fil des mois et expliquer aux jeunes que l’endroit où ils s’installent n’est que provisoire. À Saint-Denis, l’hébergement avait duré un mois. Cette fois-ci, Agathe Nadimi sait déjà qu’il lui faudra quitter les lieux le 22 octobre.

Avant d'être hébergés dans le théâtre, les jeunes étrangers isolés dormaient à la rue. Crédit : Julia Dumont
Avant d'être hébergés dans le théâtre, les jeunes étrangers isolés dormaient à la rue. Crédit : Julia Dumont

L’hébergement dans le théâtre ne peut, de toute façon, pas être durable. Les loges mansardées ne sont pas adaptées pour l’accueil de plus d’une quinzaine de jeunes. Il n’y a pas de douches, il faut aller se laver dans les douches publiques. Et à partir d’une certaine heure, les soirs de représentations ou de concerts, les sorties ne sont plus possibles.

"Bien sûr, c’est loin d’être une solution idéale mais si on me reproche quelque chose, ma réponse est déjà prête", affirme Agathe Nadimi. "Si ces jeunes ne dorment pas là, ils dorment dehors."

Trois mois dehors

Pour certains, la nuit qu’ils s’apprêtent à passer dans cet hébergement improvisé sera la première qu’il ne passe pas dehors depuis des mois. Ousmane (tous les prénoms des jeunes ont été changés) a l’air de ne pas y croire. Ce grand timide de 16 ans est arrivé au théâtre vendredi soir avec son petit sac dos.

Les premiers moments de vie commune ne sont pas évidents. Ousmane ne connaît pas les autres jeunes et est épuisé, après trois mois à la rue.

L’adolescent, originaire de la région de Kayes, à l’ouest du Mali affirme avoir "voulu partir parce qu’il y a beaucoup de problèmes dans [son] pays."

À son arrivée en France, Ousmane a été évalué par le Dispositif d’évaluation pour mineurs isolés étrangers (Demie) de la Croix rouge le 5 juin mais n’a pas été reconnu mineur. Les examinateurs ont jugé que son "physique" et sa "maturité" ne correspondaient pas à l’âge qu’il dit avoir. Il a pu passer un mois à l’hôtel après son évaluation mais le 10 juillet, il a dû quitter l’établissement.

Pendant trois mois, il a erré entre les stations de métro, les gares et les points de distributions de nourriture, dans le nord de Paris. "La nuit, je dormais très peu à cause du froid. Juste une heure peut-être. Je n’avais rien pour me couvrir", raconte-t-il.

"L’entretien n’a même pas duré 10 minutes"

Dans la pièce qui sert de dortoir, Abdoulaye raconte que lui non plus n’a pas été reconnu mineur par les examinateurs de la Croix-Rouge, à Bobigny. Mais, selon lui, ils ne lui ont laissé aucune chance de pouvoir expliquer correctement sa situation. Capable de s’exprimer en français, Abdoulaye est bien plus à l’aise en peul, sa langue maternelle. Pourtant, il affirme que la Croix-Rouge ne lui a pas proposé d’interprète.

"Ils n’attendaient même pas que je réponde à une question avant de m’en poser une autre", décrit Abdoulaye. "En tout, l’entretien n’a même pas duré dix minutes", se souvient-il.

Le jeune homme, né en novembre 2005, a déposé un recours et doit être reçu en audience par le juge des enfants le 14 octobre. Il lui expliquera son parcours et tentera de démontrer qu’il a droit à une protection.

L’histoire d'Abdoulaye est celle de bien des jeunes Africains arrivés seuls en France. L’adolescent n’a pas connu son père et sa mère est morte quand il avait huit ans. L’oncle à qui il a été confié envisageait d’utiliser le garçon pour l’aider à vendre du charbon. Abdoulaye, lui, voulait aller à l’école. Son oncle n’était pas d’accord : "Il disait à sa femme de ne pas me donner à manger et il me frappait."

Nourri par des voisins, Abdoulaye prend un jour la route de l’exil avec un membre de cette famille. L’adolescent ne sait même pas où il va. Après un périple de plusieurs jours jusqu’au Maroc, l’homme qui l’accompagne le confie à un passeur qui lui fait prendre la mer, direction l’Espagne. Abdoulaye est ensuite venu en France par ses propres moyens.

Comment beaucoup d’autres, il a dormi dehors. D’abord dans la gare du Nord. "Ensuite, je suis allé à la Villette mais on m’a volé ma veste le premier soir. Je n’ai pas dormi plus d’une nuit là-bas parce que j’avais peur. Je suis retourné dans la gare du Nord", raconte-t-il. C’est en venant à une distribution de nourriture des Midis du Mie dans le jardin parisien de la rue Pali-Kao qu’il a pu parler de sa situation et être hébergé au théâtre.

Un camp en plein Paris

Pour sensibiliser les autorités au sort de ces jeunes en attente de leur audience devant le juge, plusieurs associations et ONG (Utopia 56, Médecins sans frontières , la Timmy, les Midis du Mie et le Comité pour la santé des exilé.e.s) avaient installé fin juin un campement avec 65 jeunes dont la minorité avait été contestée, en plein Paris.

En avril, des avocats, ONG et associations avaient également envoyé un signalement au procureur de la République de Paris, pour l'alerter de la situation de ces mineurs "livrés à eux-mêmes" et exposés à un "danger grave" faute d'hébergement pendant le confinement.

Le camp de jeunes du square Jules Ferry a été évacué le 4 août et ses occupants ont été relogés dans un gymnase puis à l’hôtel mais les associations continuent à réclamer une solution pérenne. Début août, la mairie de Paris avait déclaré qu'un site pouvant permettre l’hébergement de ces jeunes avait "été trouvé" et que l'État discutait avec une association susceptible de le gérer.

Interrogée sur la concrétisation de ce projet, la mairie de Paris n'a pas répondu aux questions d'InfoMigrants.

Parmi les jeunes non-reconnus mineurs lors de leur évaluation par les départements, nombreux sont ceux à être reconnus mineur par la suite par un juge des enfants. Selon des chiffres de MSF, 57,7% des jeunes en situation de recours, qui étaient suivis en 2018 au centre d'accueil de jour de l'ONG, à Pantin, dans le nord de Paris, ont été reconnus mineurs, leur donnant ainsi accès à une prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance.

Dans le théâtre où Agathe Nadimi peut encore héberger les jeunes pour quelques jours, Ousmane ne pense pas à son audience avec le juge. Ce soir, alors que les conversations remplissent encore la pièce, Ousmane enlève ses chaussures et se glisse doucement sous la couette posée sur son matelas gonflable. Un sourire illumine son visage lorsqu’il pose sa tête sur l'oreiller.

*Le collectif qui gère le théâtre n’a pas souhaité que le nom du lieu et sa localisation soient publiés.

 

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