Les colocataires partagent un immeuble de 1000 m² en attente d'être rénové. Crédit : Carlos Alvarez
Les colocataires partagent un immeuble de 1000 m² en attente d'être rénové. Crédit : Carlos Alvarez

Près du musée du Louvre à Paris, une colocation d'un nouveau genre a ouvert ses portes début septembre. Onze réfugiés et treize Français vont cohabiter pendant un an dans un immeuble de 1000 m². Une initiative inédite qui facilite l'intégration des réfugiés, les échanges multiculturels et l'accès des jeunes au logement.

Ils sont Somaliens, Guinéens, Afghans ou encore Soudanais. Jusqu'à maintenant, aucun d'entre eux ne s'était imaginé vivre un jour dans le 1er arrondissement de Paris, à quelques mètres du musée du Louvre et du jardin du Palais Royal. Depuis le mois de septembre, c'est pourtant leur quotidien. Grâce à l'association Caracol, onze réfugiés vont vivre pendant un an avec treize Français, dans un immeuble typiquement parisien. 

Âgés de 20 à 35 ans, les 24 colocataires sont étudiants ou jeunes actifs. Ils partagent les locaux de 1000 m² comprenant plusieurs espaces communs : une cuisine, un salon ou encore une salle de travail. Chacun possède sa propre chambre avec kitchenette, salle de bain et toilettes intégrés. 

Pour Youniss, l'un des résidents, "cette colocation, c'est une chance qu'il ne fallait pas laisser passer". Venu du Soudan, il a quitté son pays seul, après s'être retrouvé lui et sa famille "en pleine guerre du Darfour".

Il s'est lancé dans un voyage long de plusieurs années, l'amenant jusqu'en Libye et en Italie. Le 25 septembre 2016, Youniss franchit la frontière franco-italienne. Il arrive ensuite à Paris. Pendant trois ans, il est "baladé de foyer en foyer". Plus d'un an après son arrivée en France, il obtient son statut de réfugié. 

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Grâce à une assistante sociale, il découvre l'initiative de l'association Caracol et se montre tout de suite intéressé. Comme tous les membres de la colocation, il a dû passer un entretien avec les responsables de l'association.

Car pour participer au projet, plusieurs conditions doivent être réunies. "Il faut avoir plus de 18 ans, un titre de séjour en règle pour les étrangers, du fait de l'obtention de la protection subsidiaire ou du statut de réfugié, et donner la preuve d'un revenu régulier (RSA ou garantie jeune par exemple)", explique Simon Guibert, fondateur de Caracol. 


La cuisine est l'un des espaces communs à tous les colocataires. Crédits : RIVP
La cuisine est l'un des espaces communs à tous les colocataires. Crédits : RIVP


En vertu de l'article 29 de la loi Élan, chaque colocataire paye au maximum un loyer de 200 euros par mois, qui sert notamment à payer les charges. L'association reverse la somme correspondante au propriétaire des lieux, la Régie immobilière de la ville de Paris, deuxième bailleur social de la capitale. Les résidents sont libres de compléter leur redevance sous forme de dons à l'association. 

À l'origine, l'immeuble devait rester vacant en attendant d'être transformé en logements sociaux fin septembre 2021. Pour le bailleur, le système proposé par Caracol est donc avantageux : puisque l'immeuble est occupé, l'organisme n'a pas à s'acquitter des frais de gardiennage et d'entretien.

Chantier participatif et mode de vie écolo

En outre, le concept permet de répondre à la crise du logement, qui touche en particulier les grandes villes. "D'une part, beaucoup de Français ont des difficultés pour se loger. D'autre part, les exilés peuvent se retrouver sans solution après leur départ d'un centre d'hébergement d'urgence. Pourtant, il existe des milliers de mètres carrés vides à Paris", constate le fondateur de Caracol. 

Toutefois, les postulants à cette colocation ne doivent pas être dans une situation d'urgence pour trouver un logement car le processus de sélection prend du temps.

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En amont, l'association se renseigne sur les motivations des candidats. "On leur demande de s'impliquer avant l'entrée dans la colocation", précise le fondateur de Caracol, qui chapeaute déjà plusieurs colocations de ce type en France.

Avant leur emménagement, les résidents ont participé à des petits travaux de finition. Ils ont nettoyé les locaux et les ont aménagés avec des meubles récupérés chez Emmaüs ou ailleurs. 


L'été dernier, les résidents ont participé à la rénovation de leur futur immeuble. Crédits : Carlos Alvarez
L'été dernier, les résidents ont participé à la rénovation de leur futur immeuble. Crédits : Carlos Alvarez


Une fois la rénovation terminée, les résidents ont rythmé la vie de la colocation avec des cours de yoga, des cours de français et d'arabe, des ateliers de danse ou de couture… Les activités sont dispensées par les occupants dans le respect de la distanciation physique. "On a un groupe WhatsApp sur lequel on peut proposer nos idées", rapporte Youniss. "J'ai proposé de donner des cours d'arabe et parfois, je fais la cuisine pour tout le monde. Je compte bientôt préparer un bon plat avec du riz, de l'agneau et des légumes", affirme-t-il. 

Une fois par semaine, les colocataires récupèrent des produits invendus au magasin Biocoop du coin. "De temps en temps, on va chercher des légumes et des yaourts que l'on met à disposition dans le frigo. Tout le monde peut se servir", décrit Youniss. 

À la grande surprise de Joséphine, colocataire française, les tâches ménagères ne sont pas source de tensions. "Au début, on a essayé de mettre en place un roulement. Mais finalement, chacun fait sa vaisselle et ses courses. Et ceux qui utilisent le plus les espaces communs participent davantage au nettoyage et au rangement. C'est assez surprenant que ça fonctionne aussi bien sans organisation précise", s'étonne-t-elle. 

Pour cette étudiante en urbanisme de 21 ans, cette expérience est inédite. "J'ai fait la connaissance de personnes que je n'aurais jamais rencontrées dans la vie de tous les jours. J'ai découvert des cultures et des histoires différentes", rapporte-elle. 

"On vit comme une famille"

De leur côté, les réfugiés ont franchi avec cette initiative une étape dans leur intégration en France. "Ici, ce n'est pas comme au foyer. Parfois, on mange ensemble et on regarde des films. On partage la même machine à laver. Il y a même un Guinéen qui nous apprend à coudre et qui répare nos masques. On vit comme une famille", résume Yaseir, lui aussi réfugié Soudanais.  

Technicien de maintenance en apprentissage, Youniss, lui, apprécie de se retrouver au calme après une journée de travail. "Je peux être seul et avoir mon intimité. Quand je vivais en foyer, je partageais ma chambre et les toilettes. Dans l'un des centres pour demandeurs d'asile où j'ai vécu, il y avait seulement deux cuisines pour 200 personnes", se souvient-il.

Même si le concept semble bien fonctionner pour l'instant, les occupants des lieux ont été avertis : ils devront trouver un autre logement en septembre prochain. "Avant de rentrer dans la colocation, j'ai commencé des démarches administratives pour demander un logement social. Mais en réalité, je n'ai aucune envie de partir", confie Yaseir. "Je me suis fait des amis et je progresse en français. Je suis très heureux ici". 

Pour rejoindre une colocation solidaire de l'association Caracol : https://www.facebook.com/ColocationCaracol/

 

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