La guerre qui se poursuit en Syrie a déplacé des millions de personnes, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. En Turquie, de nombreux réfugiés syriens se sentent marginalisés et disent subir des attaques racistes.
"J'étais très jeune pendant la guerre, Alep me manque tellement", raconte Ahmad Zahdeh, qui faisait des études dans le graphisme lorsque les premières manifestations contre le régime de Bachar al-Assad ont eu lieu à Damas, en mars 2011.
Ahmad avait alors 18 ans et décide lui aussi de rejoindre le mouvement en allant manifester avec ses amis dans les rues d’Alep, au nord de la Syrie. Il finit par être arrêté par la police et par passer un mois en prison.

"Je ne savais pas ce que le mot liberté voulait dire"
"C’était tellement douloureux d’être témoin de ce qui se passait. Au moins une vingtaine de bombes s’abattaient sur la ville chaque jour. Avant la guerre, j’étais un enfant. Je ne savais pas ce que le mot patrie signifiait. Je ne savais pas ce que le mot liberté voulait dire. Je l’ai appris pendant la guerre."
À sa sortie de prison, Ahmad commence par travailler comme journaliste pour raconter ce qui se déroule dans son pays. Mais l’intensification du conflit le pousse à quitter Alep. Il s’installe un peu plus au sud, à Idleb, et écrit ses articles depuis là-bas.
Si le jeune homme a survécu la guerre, il a perdu tous ses meilleurs amis. En 2016, Ahmad se réfugie en Turquie. Un an plus tard, sa famille le rejoint. Aujourd’hui, à 28 ans, il vit à Istanbul. Ahmad est devenu graphiste et a crée sa propre agence publicitaire. Il dit espérer pouvoir retourner en Syrie un jour, même si "pour le moment ce n’est pas possible".

Attaques racistes
Si Ahmad a trouvé sa place, ce n’est pas le cas de tous les réfugiés syriens en Turquie. Selon les données les plus récentes de la Direction générale de la gestion des migrations, près de 3,7 millions de Syriens vivent dans le pays, ce qui fait de la Turquie le plus grand pays d'accueil pour les réfugiés syriens dans le monde.
La famille Hammami en fait partie. Après s'être installée à Samsun, la principale ville sur la côte turque de la mer Noire, la famille subit une terrible perte. Leur plus jeune fils meurt suite à une attaque raciste.
En 2011, lorsqu'ils arrivent en Turquie avec leurs parents, Ibrahim Hammami et son frère Eymenh ont respectivement 15 et 6 ans.
Eymenh avait déjà survécu à la chute d’un balcon à Alep. Il s’en est également sorti après un attentat à la bombe. Par deux fois, raconte sa famille, le jeune garçon a bravé la mort. Jusqu’à ce qu’il décède l’an dernier à Samsun à l’âge de 16 ans.

"Retourne dans ton pays"
Eymenh a été attaqué en pleine rue en septembre 2020. Une voiture les suivait, lui et son frère. "Toi, le Syrien, qu'est-ce que tu fais en Turquie ? Retourne dans ton pays. C'est mon pays", aurait crié l'agresseur avant de le poignarder.
Ibrahim a encore du mal à y croire, et à comprendre ce drame. "Je n'aurais jamais imaginé que les choses pouvaient se passer comme ça. Tous le soirs, je suis là, à attendre qu’il revienne de son cours de boxe. Je n’arrive pas à croire qu’il soit mort comme ça", dit Ibrahim. "Nous avons souffert en Syrie, maintenant nous souffrons en Turquie."
Environ 750 000 jeunes Syriens âgés de 15 à 24 ans vivent actuellement en Turquie. Beaucoup n’ont pas la chance d’aller à l’école.
C’était le cas d’Eymenh, qui a dû quitter son école en Turquie au bout de deux mois pour trouver du travail et soutenir sa famille financièrement.
Comme ses frères, il travaillait dans une boulangerie à Samsun. Son rêve était de devenir boxeur professionnel dans l'équipe nationale turque.
"Nous devons tous travailler car notre situation économique est mauvaise", explique Ibrahim, qui se souvient de son petit frère disant "Maman, un jour je deviendrai boxeur et je nous achèterai une maison. Nous serons riches."
Avant d'être poignardé, Eymenh avait raconté à sa mère qu’il subissait des harcèlements dans la rue. Sa mère lui a alors conseillé de se tenir à l’écart, de raser les murs.

Les insultes dans la rue
Selon Ibrahim Hammami, les insultes contre les Syriens ne sont pas rares. "Certains jeunes Turcs disent : 'Pourquoi n’êtes vous pas restés combattre dans votre pays pour venir ici à la place ?'. Ils nous demandent ça tout le temps. Nous sommes ici pour gagner notre vie et c’est tout."
L’homme qui a tué Eymenh Hammami a été condamné à 22 ans de prison, mais sa peine a été réduite à 18 ans et 4 mois "pour bonne conduite".
Quoi qu’il en soit, aucune peine de prison ne pourra effacer la douleur de sa famille.
Les données révélées par le ministère de l'Intérieur turc montrent que fin 2020, près de 420 000 Syriens avaient quitté la Turquie pour retourner en Syrie.
Pour Ibrahim et sa famille, ce moment du retour semble encore loin.
"Notre patrie, notre quartier, nos amis, notre école nous manquent, dit-il. Nous vivons en permanence dans une nostalgie de la Syrie. Nous voulons y retourner mais nous ne pouvons pas. Il n'y a pas de mots pour décrire le sentiment pour ma patrie."
Traduction : Marco Wolter