Plusieurs associations, dont la Cimade, lancent une "offensive générale" contre la dématérialisation des démarches administratives des étrangers, qui impose la prise de rendez-vous en ligne pour obtenir un titre de séjour. Les associations assignent en justice cinq préfectures afin de mettre un terme à ces pratiques qui "fabriquent des sans-papiers".
La Cimade, le Secours catholique, la Ligue des droits de l'Homme et le Syndicat des avocats de France (SAF) assignent en justice cinq préfectures - Hérault, Ille-et-Vilaine, Rhône, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne - qui imposent la prise de rendez-vous en ligne pour les étrangers en demande ou en renouvellement de titre de séjour.
Des recours similaires avaient déjà été déposés en décembre, janvier et le 12 mars devant des tribunaux franciliens.
Depuis plusieurs mois, nombreux sont les étrangers à rencontrer des difficultés à faire valoir leurs droits et à régulariser leur situation faute de rendez-vous disponibles en ligne sur les sites des préfectures. Les conséquences de la dématérialisation des démarches administratives sont désastreuses. "Des milliers de personnes perdent le bénéfice d’un titre de séjour du fait de l’incapacité du service public à respecter ses obligations légales", déplorent les associations dans un communiqué publié mardi 30 mars.
La dématérialisation des démarches administratives fait partie intégrante d'une stratégie impulsée par le ministère de l'Intérieur depuis décembre 2019. Une accélération s'est faite sentir au printemps 2020 dès le premier confinement en France au cours duquel tous les services publics aux étrangers ont fermé.
"Source majeure des difficultés d'accès aux droits"
Depuis, déposer un dossier, prendre un rendez-vous ou renouveler un titre de séjour est devenu un parcours du combattant. "Sous couvert de crise sanitaire, de volonté de modernisation et de gain en efficacité, c'est en fait une mise à distance des personnes par les services publics qui est en train de s'opérer. C'est même devenu une des sources majeures des difficultés d'accès aux droits", estimait en février Lise Faron, responsable de la Cimade, spécialiste des questions liées au droit au séjour, contactée par InfoMigrants.
Malgré une décision en 2019 du Conseil d’État selon laquelle le recours à la voie électronique ne pouvait être imposé, les pratiques préfectorales perdurent à travers la France, obligeant les personnes à agir en justice pour pouvoir déposer des demandes de titres de séjour ou simplement en obtenir le renouvellement.
Depuis le début de l'année, plusieurs manifestations ont été organisées en France pour dénoncer les difficultés d'accès aux rendez-vous en préfecture, mais aucune n'a été entendue.
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Une décision rendue le 18 février par le tribunal administratif de Rouen pourrait toutefois faire jurisprudence sur l'ensemble du territoire français. Elle prévoit notamment d'annuler l'obligation du passage par la voie électronique pour les dépôts de titres de séjour qui avait été temporairement imposée au printemps dernier par la préfecture.
"La fermeture des guichets fabrique des sans-papiers"
Pourtant, en dépit de cette décision de justice, les autorités persistent. Après avoir créé un téléservice dédié aux titres de séjour des étudiants en novembre 2020, le ministère de l’Intérieur a publié le 24 mars un décret qui imposera la dématérialisation de plusieurs autres demandes de titres de séjour, signalent encore les humanitaires.
"La fermeture des guichets fabrique des sans-papiers", insistent les associations. "Il y a des personnes qui passent des nuits entières à tenter d’obtenir un rendez-vous et ça peut durer des semaines", rapportait déjà l'été dernier la Cimade. "Cette situation extrêmement complexe laisse des milliers de personnes dans la précarité".
Saisi par de nombreuses personnes étrangères ayant rencontré ces mêmes difficultés dans leurs démarches à cause des procédures dématérialisées mises en place par les préfectures, le Défenseur des droits avait émis le 10 juillet une dizaine de recommandations au ministère de l’Intérieur. Il rappelait également à l’État que les personnes sollicitant le séjour en France sont "des usagers du service public envers lequel la préfecture se doit de respecter les principes d’adaptabilité, de continuité et d’égalité devant le service public". La dématérialisation de l’accès aux préfectures est "source de discriminations et d’atteintes aux droits", faisait-il encore remarquer.