Des demandeurs d'asile et réfugiés membres de l'association "Famille au grand cœur" à Montpellier. Crédit : DR
Des demandeurs d'asile et réfugiés membres de l'association "Famille au grand cœur" à Montpellier. Crédit : DR

"Famille au grand cœur", une association gérée par un groupe de réfugiés et demandeurs d'asile LGBT, est en train de voir le jour à Montpellier, dans le sud de la France. En mettant l'accent sur l'accueil citoyen, le collectif prévoit de venir en aide aux jeunes primo-arrivants gays, lesbiennes, bisexuels ou encore transgenres.

À Montpellier, dans le sud de la France, douze demandeurs d'asile et réfugiés, originaires du Mali, de Guinée, du Sénégal, du Nigeria, du Libéria, du Maroc et d'Arménie, se sont récemment associés. Tous ont en commun d'être arrivés ces dernières années en France après avoir fui leur pays d'origine respectifs en raison de leur appartenance à la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres…). Des expériences d'exil dont ils veulent désormais se servir pour aider d'autres personnes dans ce cas.

Thomas Hassah Addison, 22 ans, a fui le Libéria en catastrophe, après avoir été surpris en train d'avoir des relations sexuelles avec un autre homme. Son exil le mènera en Libye, puis sur un canot à travers la Méditerranée, et enfin en Italie, où il tombe entre les mains d'un homme qui le pousse à se prostituer. À la faveur d'une nouvelle fuite, il rejoint la France en juillet 2020, à bord d'un train dont il est expulsé, faute de titre de transport. C'est à Montpellier que le contrôleur lui intime l'ordre de descendre du train.

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Gevorg Hovhannisyan, un Arménien de 26 ans, a, quant à lui, décidé de ne pas rentrer dans son pays après des études effectuées dans le sud de la France. En Arménie, ses parents et la société "n'acceptent pas les gens LGBT", assure le demandeur d'asile. "Je veux mener une vie normale et je ne peux pas le faire dans mon pays. En France, ce n'est pas un problème d'être gay, même si il y a parfois de l'homophobie."

Ces destins, ainsi que ceux de dix autres jeunes hommes, se sont, pour la majorité, croisés au sein de la branche montpelliéraine de l'association Le Refuge, dédiée aux homosexuels victimes de persécutions. Récemment, ils ont décidé de créer leur propre structure, plus orientée sur les migrants : "Famille au grand cœur". Le projet se targue d'être à 100 % géré par des réfugiés et demandeurs d'asile et ambitionne de venir en aide aux primo-arrivants LGBT âgés de 18 à 25 ans, principalement dans la région Occitanie.

"C'est parce qu'ils sont LGBT qu'ils sont réfugiés"

L'association prévoit un accompagnement psychologique et des moments de paroles pour aborder des sujets sur lesquels les principaux intéressés ont souvent du mal à mettre des mots. Mais l'axe principal reste l'accueil. "Famille au grand cœur" essaie de développer un réseau de familles pouvant héberger temporairement ces demandeurs d'asile et réfugiés. Une durée de six mois renouvelables est envisagée.

"Le but, c'est de faciliter l'accueil et l'intégration dans la société française. Être dans une famille française, ça facilite la tâche, notamment pour apprendre la langue", commente Gevorg Hovhannisyan, secrétaire-adjoint de l'association, évoquant l'isolement dont sont particulièrement victimes, selon lui, les migrants issus de cette communauté. "C'est parce qu'ils sont LGBT qu'ils sont réfugiés et ils ont souvent vécu des choses tristes. On veut leur permettre d'oublier ces moments de leur passé qui les ont obligés à partir de chez eux."

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Thomas et Gevorg sont, eux-mêmes, toujours empêtrés dans le parcours administratif de la demande d'asile. Tous deux sont en attente de leur rendez-vous auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Un entretien crucial et à l'issue aléatoire : "À la différence des demandes d’asile fondées sur des motivations politiques ou sur une conversion religieuse, les demandes fondées sur l’orientation sexuelle ne nécessitent aucun document de preuve (...). Cette demande d’asile est ainsi examinée sous le prisme de l’intime conviction", précisait en 2019 une rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) citée par le site Dalloz Actualité.

"Ces jeunes sont encore eux-mêmes dans un parcours d'intégration en France, certains ont du boulot, d'autres non, et ils ont quand même la force d'aider d'autres jeunes qui sont dans des situations plus difficiles qu'eux. Je trouve ça beau", commente pour sa part Nicolas Noguier*, ancien président du Refuge qui fait désormais office de "coach" pour le groupe.

Même si le projet en est encore à ses prémices, "Famille au grand cœur" a déjà bénéficié d'un fonds de dotation comme coup de pouce financier et ses membres ont été reçus par le représentant du Haut-commissariat des réfugiés de l'ONU (HCR) en France, précise Nicolas Noguier.

"Dans les CADA, ils ont reçu des attaques homophobes"

Pour les membres de l'association, l'envie de créer une structure propre découle d'un constat : cette communauté a besoin d'une prise en charge différente, plus personnalisée. Les hébergements en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) ne seraient, par exemple, pas les mieux adaptés aux cas particuliers de ces personnes, explique Gevorg Hovhannisyan.

"Deux membres de l'association ont eu des mauvaises expériences dans des Cada : ils ont subi des attaques homophobes. Ils ne se sentaient pas à l'aise là-bas. Moi je n'ai pas voulu y aller, il y a un trop grand mélange de personnes dans ces structures, je pressentais que ça n'allait pas être cool", affirme celui qui a finalement pu être hébergé chez un particulier.

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Se retrouver entre personnes LGBT serait par ailleurs fondamental. "Voir une personne à qui on peut s'identifier est la plus grande aide qu'on peut recevoir", estime de son côté Thomas Hassah Addison. Le jeune homme sait de quoi il parle : au Liberia, "le pire pays du monde où être gay", il ne connaissait personne qui "lui ressemblait" ou en qui il pouvait avoir confiance.

Ce dernier avoue d'ailleurs toujours souffrir d'anxiété et d'insomnies qu'il traite à l'aide d'antidépresseurs. Et il ne se considère pas comme un cas isolé : "Les jeunes venus d'autres pays que le mien ont, eux aussi, vécu des expériences traumatisantes".

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Une personne LGBT peut demander le statut de réfugié par crainte d’être persécutée en raison de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son expression de genre et/ou de ses caractéristiques sexuelles, rappelle le HCR.

*Nicolas Noguier est accusé de viol par un ancien jeune du Refuge. Le parquet de Montpellier a ouvert une enquête préliminaire en février pour viol et harcèlement sexuel.

 

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