Suite à la remise en liberté dimanche du trafiquant "Bija", notoirement connu en Libye et accusé de crime contre l'humanité par l'ONU, plusieurs exilés ont raconté à InfoMigrants leurs expériences avec ce chef redouté des garde-côtes libyens de Zaouia.
"Un monstre", "capable de tirer sur un être humain comme il tirerait sur animal"... Trois jours après la remise en liberté en Libye, "faute de preuves", du trafiquant de migrants Abdelrahman Milad, alias "Bija", ceux qui ont eu affaire à lui en dressent un portrait glaçant.
Car celui qui est connu comme chef des garde-côtes de la ville Zaouia a marqué les esprits par sa cruauté. "En Libye, il n'y a pas un migrant qui ne connaisse pas Bija", explique Mamadou, qui a fui l'enfer libyen pour retourner dans son pays d'origine, la Guinée. "Il est pire que le diable", lance-t-il.
"Même les Libyens n'osent pas le contredire car il est réputé très violent, y compris avec eux", commente pour sa part Ali, un autre Guinéen qui a passé trois mois dans la prison de Zaouia, tenue par Bija et son cousin Oussama, lui aussi tortionnaire notoire.
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Abdelrahman Milad a été libéré d'une prison libyenne le 11 avril, six mois après avoir été incarcéré pour trafic d'êtres humains. Une décision de justice qui a laissé plusieurs organisations internationales pantoises : le trentenaire est en effet accusé de traite d'êtres humains ainsi que de crime contre l'humanité par le Conseil de sécurité de l'ONU.
"Ils prenaient du plaisir à voir l'horreur dans nos yeux"
Abdullah, un migrant soudanais, se souvient du jour où l'embarcation sur laquelle il se trouvait a été interceptée en mer et où il a été ramené à Tripoli. Pendant tout le trajet, il assure avoir été battu par "les hommes de Bija". "À Tripoli, on nous a insultés et donné des coups de poing, puis les hommes de Bija ont tiré des coups de feu au-dessus de nos têtes. Bija était présent. Ils prenaient du plaisir à voir l'horreur dans nos yeux."
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L'homme fort de Zaouia - qui aurait, d'après la presse italienne, la double casquette de garde-côtes et de passeur - a en effet été, ces dernières années, régulièrement présent lors d'interceptions d'embarcations de migrants en mer. Ces arrestations sont souvent vécues comme un cauchemar par ceux qui sont alors renvoyés vers un pays qu'ils veulent à tout prix fuir pour y être, la plupart du temps, emprisonnés.
"En 2018, j'étais à bord d'un bateau en route vers l'Europe et les garde-côtes libyens nous ont pris en chasse", raconte Jamal, originaire lui aussi du Soudan. Bija était alors le conducteur du bateau des garde-côtes en question. "Ils ont commencé à tourner autour de notre bateau, on est presque tombés à l'eau et, tout d'un coup, ils ont commencé à nous tirer dessus", poursuit-il. "Beaucoup ont été blessés et sont tombés dans la mer. C'était affreux."
"Les milices contrôlent les décisions de justice"
Plusieurs migrants confient toutefois que, aussi cruel soit-il, "le Bija" est un trafiquant parmi tant d'autres en Libye. Comprendre : tout aussi mauvais. "Il est comme les autres, sauvage", assène Mamadou.
La libération de Bija n'a pas été une surprise pour Omar, un migrant syrien, devenu amer après des années de présence en Libye. Pour lui, cette remise en liberté ne fait qu'attester, une nouvelle fois, du "pouvoir des milices" dans ce pays livré à la loi du plus fort.
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"Les milices sont capables de contrôler des décisions de justice", s'offusque Omar, pestant contre l'impunité dont bénéficient également ceux qui torturent, par exemple, les migrants dans la ville de Bani Walid, située à une centaine de kilomètres au sud de Tripoli, au vu et au sus de tous.
Bija aurait été relâché en échange de l'aide apportée par sa milice lors d'une opération militaire visant à libérer la capitale Tripoli. Selon la journaliste italienne Francesca Mannocchi, il aurait même été promu peu avant sa libération.