"Comment réussir sa migration clandestine" est paru aux éditions Encre de nuit.
"Comment réussir sa migration clandestine" est paru aux éditions Encre de nuit.

Dans sa bande dessinée "Réussir sa migration clandestine" parue aux éditions Encre de nuit, le dessinateur algérien Salim Zerrouki utilise l'humour noir et le second degré pour décrire les épreuves endurées par les migrants en route vers l'Europe. Une œuvre pour "réveiller les consciences", explique-t-il. Entretien avec l'auteur.

Violences dans les prisons libyennes, trafic d'organes, naufrage en mer Méditerranée, racisme au Maghreb, abandon dans le désert... À partir de neuf histoires tirées de faits réels - notamment de témoignages d'InfoMigrants -, l'auteur algérien Salim Zerrouki délivre dans sa bande dessinée "Réussir sa migration clandestine" (éditions Encre de nuit) des conseils absurdes aux migrants en route vers l'Europe. Du kit de survie à l'élixir pour stopper les battements du cœur le temps de traverser une frontière, l'auteur utilise l'humour noir et le second degré pour dénoncer le sort réservé aux migrants. Entretien.

InfoMigrants : Pourquoi avez-vous décidé d'écrire une bande dessinée autour de la question migratoire ?

Salim Zerrouki : Quand on vit au Maghreb, la migration clandestine est une réalité quotidienne. Ce n'est pas uniquement des chiffres ou des images que l'on voit à la télévision, on est confronté à ça tous les jours.

En Tunisie où je vis depuis 15 ans, on a tous un voisin, un frère, un ami qui a voyagé clandestinement vers l'Europe. Toutes les familles sont touchées.

Par ailleurs, je vis dans le quartier de Dar-Fadhal à Tunis, où vivent beaucoup de migrants subsahariens en attendant de rejoindre les côtes européennes.


"Comment réussir sa migration clandestine" est paru aux éditions Encre de nuit.
"Comment réussir sa migration clandestine" est paru aux éditions Encre de nuit.


C'est un sujet qui est tout le temps autour de nous. C'est récurrent, on en entend parler tous les jours. La semaine dernière encore, on apprenait qu'au moins 40 migrants partis du sud de la Tunisie avaient perdu la vie en mer.

Pour que quelqu'un se jette à la mer en sachant les risques encourus, c'est qu'il est vraiment au pied du mur. Je ne peux pas rester insensible face à ces drames humains. 

IM : Comment avez-vous procédé pour construire cette BD ? Pourquoi aborder cette question en utilisant l'humour noir ?

SZ : J'ai cherché sur Internet des articles de presse et j'ai échangé longuement avec des journalistes spécialisés sur la question en Tunisie.

La réalité est tellement atroce, je me suis dit que les gens ne me croiraient pas. J'ai donc imaginé des solutions absurdes pour "réussir sa migration" et j'y ai rajouté des histoires vraies.

L'humour noir est ma spécialité, je ne sais pas faire autrement. Les atrocités subies par les migrants dans le nord de l'Afrique, en mer Méditerranée ou en Europe ont été maintes fois dénoncées mais rien n'a changé pour autant.

Peut-être qu'en utilisant l'humour noir, cela aura plus de poids. Et j'avais aussi envie de choquer. Cette BD s'adresse aux politiques et aux citoyens : j'ai l'espoir que le jour où il faudra voter pour ses représentants politiques, les lecteurs se souviendront de cette BD et agiront en conséquence. C'est aussi une œuvre pour réveiller les consciences.

IM : Quel message souhaitez-vous faire passer avec cette BD ? Que voulez-vous dénoncer ?

SZ : Aujourd'hui, on détourne le regard de la problématique migratoire. C'est une forme de protection, un système de défense. Pour moi, c'est un peu le même processus utilisé lors de la crise sanitaire que nous sommes en train de vivre. Au début, le chiffre des morts nous inquiète, on se cadenasse chez nous. Puis au fur et à mesure, on s'habitue et les morts ne sont plus des êtres humains mais des chiffres.

C'est la même chose pour les drames liés à la migration. La mort du petit Aylan [enfant syrien mort sur une plage grecque en septembre 2015, ndlr] avait choqué l'humanité pendant quelques jours. Mais aujourd'hui, il y a des centaines de petit Aylan et ça n'émeut plus personne. Un migrant mort en mer, c'est simplement un chiffre de plus.

Les États africains sont complices car ils ne font rien pour développer leur pays. Mais l'Europe est aussi complice.


Une histoire consacrée aux centres de détention libyens.
Une histoire consacrée aux centres de détention libyens.


Dans une des neuf histoires de la BD, je traite du sujet des tortures et des viols dans ce que j'appelle les camps de concentration libyens [centres de détention, ndlr] en imaginant des représentants européens participer à ces violences, sous forme de spectacle. Cette histoire illustre le rôle de l'Europe et sa politique migratoire scandaleuse. L'Europe participe à un crime contre l'humanité en finançant des pays comme la Libye ou la Turquie pour contenir les flux migratoires. 

IM : Sur une planche, vous dessinez un nuancier reflétant le pourcentage de réussite dans une migration clandestine selon la couleur de peau. Qu'avez-vous voulu dire par ce dessin ?

SZ : Ce nuancier n'est rien d'autre que la réalité. La migration et le racisme vont de pair. 

Les migrants avec une couleur de peau foncée subissent le racisme tout au long de leur parcours, bien avant d'atteindre en Europe.

Si tu es Noir en Libye, tu finis dans un camp de concentration. En Algérie et en Tunisie, ils subissent des violences et de l'injustice : tu peux être séquestré, tu peux travailler sans être rémunéré, on peut te confisquer ton passeport. Au Maghreb, même la police ne les considère pas comme des citoyens.


Le kit de survie et le nuancier reflétant le pourcentage de réussite dans une migration clandestine selon la couleur de peau.
Le kit de survie et le nuancier reflétant le pourcentage de réussite dans une migration clandestine selon la couleur de peau.


Toute la société est raciste envers les migrants subsahariens. Si tu as une couleur de peau foncée, ta vie risque d'être compliquée dans ces pays. Et si tu arrives à passer le Maghreb, ce sera la même chose en Europe.

Je pense que s'il n'y avait pas de différence de couleur de peau, les personnes seraient secourues plus rapidement.

 

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