Depuis la prise de Kaboul par les Taliban, le 15 août, la rédaction d’InfoMigrants reçoit régulièrement des messages de détresse d’Afghans "piégés" dans le pays et qui s’estiment menacés par les Taliban. Témoignages.
Depuis plusieurs jours, de nombreux messages d’appel au secours en provenance d’Afghanistan arrivent à la rédaction d’InfoMigrants. Les destinateurs se disent juge, policier ou encore ancien interprète pour les forces de l’Otan. Leurs messages, pour la plupart écrits en anglais, racontent en quelques lignes leur détresse. Ils sont très souvent accompagnés de photocopies de passeports, de documents – plus ou moins officiels - prouvant leur métier ou l’aide apportée aux armées occidentales.
La rédaction a voulu mettre en lumière ces témoignages qui montrent le régime de terreur mis en place par les Taliban. Pour protéger les personnes concernées dans cet article, InfoMigrants a changé tous les noms, et volontairement enlevé certains détails concernant les géolocalisations, les intitulés de postes, les fonctions précises des personnes qui nous ont écrit.
Témoignages.
Message reçu le jeudi 12 août
"Je suis ingénieur. Avant l’arrivée des Taliban, j’étais propriétaire d’une compagnie de construction à Khost.
Je travaillais avec les étrangers, on avait des contrats. Quand les Taliban sont venus, j’ai immédiatement quitté la ville avec mes enfants. Actuellement nous vivons clandestinement.
J’ai entendu dire que les Taliban sont à la recherche de tous ceux qui ont travaillé avec les étrangers à Khost. Ils les assassinent, ils haïssent tous ceux qui ont aidé les forces étrangères.
De peur d’être repéré, je n’ai pas pu aller à Kaboul au moment des évacuations.
J’ai besoin d’être protégé. J’ai gardé tous mes certificats et tous mes contrats. Ce sont les contrats que j'ai eus avec l’ambassade des États-Unis à Kaboul.
J’essaie maintenant de trouver un moyen pour sortir du pays."
Des centaines de partisans des Taliban ont défilé le 30 août à Khost, dans l'est de l'Afghanistan, avec de faux cercueils aux couleurs des États-Unis et des pays de l'Otan pour célébrer le départ des derniers soldats américains. Quelques jours avant, mercredi 18 août, des soldats avaient ouvert le feu sur la foule venue protester contre le retour des fondamentalistes religieux.
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Message reçu le 16 août 2021
"J’ai 26 ans, je m’appelle Dana, j’ai travaillé comme infirmière pour une ONG internationale dans la province de Helmand en Afghanistan. Quand les Taliban sont arrivés, ils m’ont demandé d’arrêter de travailler, ils m’ont menacée.
Mon mari aussi est menacé. Il a été interprète pour les troupes britanniques.
Quand les soldats occidentaux ont quitté Helmand [en 2014], ils avaient promis à mon mari qu’ils le protégeraient, qu’ils viendraient le chercher.
Aujourd’hui, mon mari est en danger. Les Taliban nous cherchent. Heureusement, nous nous sommes enfuis dans une autre province. Nous savons qu’ils sont rentrés dans notre maison après notre départ, ils ont pris nos documents, nos ordinateurs.
Nous avons deux enfants de deux et trois ans. Par pitié, aidez-nous. Si les Taliban nous retrouvent, ils nous tueront tous. Vous savez, ils cherchent les gens qui ont aidé les troupes étrangères. Sauvez nos vies."
La province de Helmand, dans le sud du pays, est considérée depuis des années comme le fief des Taliban en Afghanistan. C’est là que l'essentiel de l'opium afghan est produit, une manne financière considérable pour les fondamentalistes qui l’exportent en contrebande dans les pays voisins. Les troupes américaines et britanniques des bases de Leatherneck et de Camp Bastion ont quitté la région en 2014.
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Message reçu le 16 août 2021
"Je suis mariée, j’ai quatre enfants, deux garçons et deux filles. Nous vivons dans la province de Kandahar. Mon mari dirige un business de fruits qu’il exporte en Europe.
Après l’arrivée des Taliban, tout s’est dégradé.
Il y a eu une attaque contre notre maison en pleine nuit. Ils ont demandé à mon mari où il cachait des armes. Mon mari n'arrêtait pas de répéter la même chose : 'Je ne travaille pas avec le gouvernement, je n’ai pas d’armes'. Mais ils ne voulaient rien entendre. Ils disaient sans cesse : 'Où sont les armes ? Nous savons que vous avez des informations à nous donner. Il y a beaucoup d’armes cachées. Dites-nous où'.
Ils ont fouillé plusieurs maisons, ils n’ont rien trouvé. Pendant qu’ils fouillaient, certains Taliban n’arrêtaient pas de regarder mes deux filles. J’avais tellement peur pour elles. Elles sont encore petites.
Ils ont arrêté mon mari et ils sont partis avec lui. Mes enfants pleuraient.
Nous sommes partis le lendemain, nous avons quitté la maison, nous sommes allés chez mon frère. Nous sommes aujourd’hui à Kaboul.
Pitié, aidez-nous à sortir du pays. J’ai un frère en Allemagne, je voudrais essayer de le rejoindre."
Les Taliban sont entrés dans Kandahar, dans le sud du pays, le 12 août 2021, trois jours avant de faire tomber la capitale Kaboul.
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Message reçu le 22 août
"Je m’appelle Mohamad, et j’ai travaillé au sein du gouvernement afghan ces trois dernières années, notamment pour le ministère des Affaires étrangères.
Les Taliban sont déjà venus deux fois chez moi, à Kaboul. Heureusement pour moi, j’avais quitté mon appartement. J'ai tout abandonné là-bas. Je me cache quelque part dans la ville. Ils veulent m’arrêter, ils vont me tuer.
Je suis hautement menacé. Pitié, aidez-moi.
Je vous joins tous les documents qui prouvent que j’ai travaillé pour le gouvernement."
Selon de nombreux témoignages, les Taliban ont commencé à fouiller les maisons, les appartements dans différentes villes du pays. Un rapport de l’ONU les accuse de posséder des "listes prioritaires" d’individus qu’ils souhaitent arrêter.
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Message reçu le 23 août
"Je suis policier. Maintenant que les Taliban sont là, je suis en danger. Aidez-moi, je vous laisse toutes mes coordonnées.
J’ai travaillé pour l’OTAN et pour les forces américaines à Kaboul.
Je suis marié et j’ai six enfants. Nous avons déménagé, nous avons tout laissé dans notre ancienne maison.
Pitié, aidez-nous."
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Message reçu le 28 août
"Je m’appelle Mehdi, je travaille à la Cour suprême d’Afghanistan. J’ai travaillé sur de nombreux dossiers, notamment sur des dossiers de Taliban qui ont été condamnés. Ces derniers sont aujourd’hui libérés.
J'ai peur pour ma vie. Je ne sais pas comment sortir du pays. Nous sommes en plein chaos. J’ai échappé de peu aux attentats-suicides.
Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas où aller, je ne sais pas qui contacter.
J’ai juste trouvé votre adresse mail.
Je pense que je vais bientôt être ciblé par les Taliban.
Aidez-moi."
Jeudi 26 août, un double attentat suicide revendiqué par les terroristes du groupe État islamique à proximité de l'aéroport de Kaboul a provoqué la mort d'au moins 180 personnes, dont 13 soldats américains.
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Message reçu le 2 septembre
"Je suis venu en Afghanistan car ma mère est malade. Je suis originaire de Kaboul mais je vis en France avec un titre de séjour. J'ai 22 ans et je suis livreur Uber normalement.
Aujourd’hui, je suis bloqué à Kaboul. Je ne suis pas sorti de chez ma mère depuis le 15 août, juste deux ou trois fois pour aller à l'aéroport. J'ai peur.
C'est dangereux pour moi de rester ici. C'est dangereux car je vis en France.
J'ai une amie en France qui a prévenu le ministère [la cellule de crise du Quai d’Orsay, ndlr]. A l'aéroport, j'ai vu des Français qui sont partis. J'ai dit à un officiel français que je vivais en France, j'ai montré mon titre de séjour. Il ne m'a pas répondu et il est parti.
Après, je ne suis pas retourné à l'aéroport, surtout depuis l'attentat. J'ai essayé d'appeler l'ambassade de France pour sortir du pays, personne ne m'a répondu.
Je suis bloqué ici. J'ai trop peur.
Je m'attendais pas à ce que les Taliban prennent Kaboul sinon je ne serais pas venu.
Mon oncle a réussi à m'obtenir un visa pour le Pakistan mais les frontières sont fermées. Devant l’ambassade, il y a des Taliban. Il y a partout des Taliban. Je ne sais pas quoi faire."
L'aéroport de Kaboul était, jusqu'au 31 août, la seule option possible pour sortir du pays. Les frontières terrestres avec les États voisins de l'Afghanistan sont fermées, notamment avec le Pakistan et l'Iran. Officiellement, plus de 122 000 personnes ont été évacuées d'Afghanistan depuis le 15 août.