Dans le nord de la Grèce, non loin de la frontière gréco-macédonienne, le camp de migrants de Nea Kavala abrite 1 200 personnes. C'est l'un des plus importants de la région. Isolé, non desservi par les transports en commun, et désormais encerclé par un mur de béton, le camp est une "prison à ciel ouvert" pour ses occupants.
Charlotte Boitiaux, envoyée spéciale en Grèce.
Le silence surprend. Sur le chemin goudronné menant au camp de Nea Kavala, à 1h de route de Thessalonique, non loin de la frontière gréco-macédonienne, aucun bruit ne filtre depuis le camp grec. Pourtant, plus de mille personnes dont un tiers d’enfants y vivent actuellement. En s'en approchant, on devrait percevoir les cris et les rires des plus jeunes. Mais on n'entend rien.
Est-ce le nouveau mur de béton, construit tout autour du camp, qui empêche les sons de résonner au loin ? Depuis cet été, une barrière de trois mètres de haut enserre Nea Kavala. "C’est stressant, n’est-ce pas ?", confie Marie, une demandeuse d’asile du RD Congo, derrière une des portes grillagées de l'enceinte. "Ce mur coupe le son et bouche la vue".

A Nea Kavala, les 1 200 occupants du camp qui se sentaient déjà isolés, vivent mal l’érection de cette clôture bétonnée. "On dirait une prison à ciel ouvert", s’indigne à son tour Edoza, venu lui aussi du RD Congo. "Je ne sais pas pourquoi. On dirait que [les autorités grecques] ne veulent pas qu’on puisse cohabiter tous ensemble [...] Partout où nos yeux se posent, nous voyons ce mur. Ça nous dérange".
Pour le ministère grec des Migrations, ces aménagements entrent dans une stratégie de "modernisation" des camps. Interrogé par le média d’investigation grec Solomon, un porte-parole du ministère a affirmé avant l’été que le but de la construction de ces murs était de "de renforcer le sentiment de sécurité pour toutes les personnes concernées, tant les communautés locales que les résidents du camp".
"Sortir pour aller où ?"
Malgré le mur, les allers et venues sont libres à Nea Kavala. L'entrée principale reste toujours ouverte. "Mais pour combien de temps", s'inquiète Abou Abbas, un Irakien qui vit là depuis 1 an et 6 mois. "J’ai peur que ça devienne comme sur les îles", explique-t-il. "Je crains qu’on ait une carte électronique et qu’on ait des horaires pour sortir…"
Mais sortir pour aller où ? Entouré de champs et de collines dont la végétation a jauni avec les chaleurs estivales, Nea Kavala se trouve loin des commerces, des lieux de vie. Et surtout loin des bureaux de l’administration.

Régulièrement, les demandeurs d’asile sont pourtant amenés à sortir du camp pour suivre leur dossier d’asile, rencontrer leur avocat, répondre à un rendez-vous des autorités. "Il faut marcher tout le temps ! Je mets une heure pour rejoindre Polykastro [la ville la plus proche] et quand je suis avec mon fils de 7 ans, ça devient compliqué", s'agace Marie.
Ici, aucun bus ne passe. Les plus chanceux commandent des taxis – environ 15 euros aller/retour pour rejoindre Polykastro.
"Je veux pas apprendre le grec mais l'allemand"
Pour tuer le temps, les occupants du camp se rendent au Lidl, le supermarché le plus proche à une trentaine de minutes de marche. Au loin, on distingue l’enseigne. "C’est trop loin… Vraiment trop loin", soupire Edoza, le Congolais. "Mais quand on a un peu d’argent, on peut aller faire quelques courses".

Les enfants semblent oisifs eux aussi. Beaucoup désertent les cours de langue proposés au sein du camp. Ils préfèrent rester dans les espaces de jeux – qu’on distingue à travers les grillages métalliques - ou traîner autour du camp. "Je vais pas à l’école ici, je veux pas apprendre le grec mais l’allemand", dit en riant un garçon afghan de 12 ans qui joue à lancer des morceaux de pain aux chiens errant devant le camp. "On veut aller en Allemagne avec ma famille".
A Nea Kavala, la majorité des occupants a été transférée depuis les hotspots des îles grecques, surpeuplés. Edoza vient de Samos, Marie de Lesbos, et Abou Abbas a connu le camp de Kos.
En comparaison avec les précédents camps, Nea Kavala offre quelques avantages, tient à rectifier Edoza, qui vient d'obtenir son statut de réfugié - mais qui reste là faute d'argent et de logement. "On ne va pas mentir, ici, c’est mieux qu’à Moria ou à Vathy [les hotspots Lesbos et Samos]. On respire mieux, il y a moins de monde".
"Pas de docteurs"
Mais l'isolement reste un souci majeur. Hormis le collectif "Drop in the Ocean" qui apporte son soutien aux demandeurs d'asile, aucune association ne se déplace jusqu'à Nea Kavala. L'ONG Omnes, basée à Kilkis a 25 minutes de route, offre son aide à tous ceux qui viennent dans ses locaux. Mais elle ne se déplace pas dans les camps par souci politique. "Nous sommes contre ce système d’enfermement".

L'absence de médecins inquiète les mères de famille. "Il n’y a pas de docteurs, ici", répètent plusieurs femmes afghanes en anglais à travers les portes métalliques. L’OIM, en charge du camp, affirme qu’une présence médicale est assurée. "Mais il faut prendre rendez-vous, les docteurs ne sont pas là tous les jours", explique l'Irakien Abou Abbas. Lui a rendez-vous avec un médecin en novembre pour des fortes douleurs au ventre. "Je fais quoi en attendant ?"
La Grèce compte six hotspots, des camps "fermés" – appelés RIC (Reception and identification center) – chargés d’enregistrer les nouveaux arrivants. Le pays compte également 28 autres camps "ouverts", comme Nea Kavala, où sont hébergés les migrants durant la procédure de leur demande d’asile.