Un ex-policier grec aujourd’hui à la retraite a confirmé l’existence de pushbacks, ces renvois illégaux à la frontière entre deux pays voisins. Ils ont eu lieu dans la rivière de l’Evros, entre la Turquie et la Grèce. Avec son propre bateau, il dit avoir renvoyé illégalement, pendant des années, des milliers de migrants vers les côtes turques "sur ordre de ses supérieurs". Témoignage.
N., un policier grec à la retraite a accepté de témoigner et explique, à visage caché, qu'il a renvoyé illégalement pendant des années plusieurs centaines de migrants qui venaient de traverser la rivière Evros, cette frontière naturelle de 500 km entre la Turquie et la Grèce. L’homme a été arrêté il y a quelques années et jugé coupable "de trafic illégal de migrants".
Mais N. affirme que les autorités étaient au courant de ces pushbacks. Pire, qu'il agissait sur "ordre de ses supérieurs".
Il dit avoir été dénoncé par ses chefs parce qu'il était entré en conflit avec eux. N. estime aujourd’hui "qu’il ne leur doit plus rien". Condamné à un an de prison, il a purgé sa peine et vit aujourd'hui dans son village [...] Pour protéger son identité, InfoMigrants restera flou sur les dates.
"Depuis les années 1990, je pratiquais des pushbacks. Ici, ça se fait très souvent. La zone frontalière est militarisée, ce n’est pas compliqué, personne ne nous surveille.
Je suis propriétaire d’un petit bateau sur l’Evros et j’étais en poste dans les villages frontaliers. Je ne sais plus comment ça a commencé exactement.
Régulièrement, mes collègues m’appelaient pour me prévenir qu’ils allaient venir avec des migrants. Ils étaient généralement rassemblés par groupe de 10 environ. Mon rôle était simple : je les faisais monter sur mon bateau, souvent à la tombée de la nuit et je les ramenais vers les côtes turques. Un pushback ne durait pas très longtemps.
L'armée était bien évidemment au courant. Tout le monde était au courant de ce que je faisais.
Les autorités grecques ont toujours nié l’existence de ces renvois illégaux. Régulièrement interpellée par les ONG, Athènes affirme que les expulsions sommaires depuis la Grèce vers la Turquie par ses forces de sécurité relèvent du mensonge.
Interrogé par InfoMigrants, Chrysovalantis Gialamas, un garde-frontière grec actuellement en poste à Tychero, un village frontalier au bord de la rivière, a lui aussi démenti ces allégations de pushbacks. "Au contraire, si une personne est en difficulté dans la rivière, nous allons la chercher, nous ne laissons pas les migrants se noyer dans l’Evros", affirme le militaire.

Je n’ai presque jamais eu à renvoyer des femmes et des enfants. L’immense majorité était des hommes. Ils venaient du Pakistan, d’Iran, de Syrie…
En tout, j’ai renvoyé plus de 2000 personnes, en près de 20 ans.
Non, je ne regrette pas ce que j’ai fait. Je pense qu’il y a trop d’étrangers en Grèce, il n’y a pas assez de travail pour nous. Et puis, je pense que les musulmans n’aiment pas notre culture.
>> A relire : La frontière de l'Evros, un no man’s land grec ultra-militarisé où "personne n'a accès aux migrants"
Je n’ai jamais frappé les migrants. Quand ils arrivaient, je n’avais pas besoin d’user de la force pour les faire monter sur mon petit bateau. Ils savaient qu’ils n’avaient pas le choix. Mais aucun d’eux ne voulaient repartir.
Nous n’utilisions pas nos armes. Il arrivait, très rarement, que nous tirions en l’air pour empêcher les migrants de l’autre côté du fleuve de traverser.
Souvent, les pushbacks se pratiquent en fin d’après-midi ou en début de soirée, vers 18h. Nous avons besoin de la lumière du jour pour savoir où se trouvent les soldats turcs de l’autre côté.
Une fois, des soldats turcs m’ont surpris avec mon bateau. Je n’ai pas pu débarquer les migrants qui étaient avec moi. J’ai continué à naviguer et je les ai déposés à un autre endroit. Les positions des patrouilles turques changent souvent.
Il y a encore des pushbacks aujourd’hui, évidemment. Ce que vous pouvez lire dans la presse est vrai : les migrants qui traversent sont arrêtés et rassemblés dans des endroits tenus par la police. Les forces de l’ordre attendent qu’ils soient assez nombreux et ils les renvoient.
C’était comme ça, et ça doit toujours l’être.
Je pense que les pusbbacks sont la seule solution pour protéger les frontière européennes".
Selon l’association Border Violence, qui surveille les mouvements de population aux frontières européennes, 4000 personnes auraient été victimes de pushbacks dans la région de l’Evros depuis le début de l’année.