Couverture du rapport d'Amnesty international sur les violences policière à la frontière entre la Croatie et la Bosnie. Crédit : Amnesty
Couverture du rapport d'Amnesty international sur les violences policière à la frontière entre la Croatie et la Bosnie. Crédit : Amnesty

Des investigations menées par plusieurs médias confirment l'existence de refoulements illégaux dont sont victimes les migrants aux frontières croates, roumaines et grecques par les autorités. Ces pushbacks violents ont été filmés par les journalistes.

Les images durent quelques secondes. En pleine forêt croate, à la frontière avec la Bosnie Herzégovine, un homme masqué et vêtu d’un uniforme assène de violents coups de matraque à des migrants qui passent en courant à côté de lui. La vidéo, publiée sur le site du journal Libération, est une preuve supplémentaire des pushbacks, ces refoulements illégaux au regard du droit international, opérés aux frontières européennes. De retour du côté bosniaque, une des victimes montrent ses blessures à un des journalistes qui a filmé la scène : il est couvert d’hématomes et de plaies.

En tout, onze vidéos similaires ont été tournées le long de la frontière entre la Bosnie et la Croatie, dans le cadre d’une enquête menée par des journalistes de sept pays et de huit médias différents, entre mai et septembre 2021.

D’après les informations recueillies pour l’enquête, ces hommes masqués sont en fait des policiers croates d’élite, membres des forces d’intervention. Un policer qui a longtemps participé à ce genre d’opérations, interrogé sur place, confirme : "bien sûr que les pushbacks sont une réalité. Tous les policiers savent qu’ils sont illégaux. Le gouvernement et le ministre de l’Intérieur nous ont dit de faire comme cela", assure-t-il à Libération.

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Ces hommes font partie de la mission dite "Koridor". Créée en 2016 et financée en partie par l’Union européenne, elle est initialement dédiée à la lutte contre la contrebande. Mais depuis quelques temps, elle se concentre désormais sur la lutte contre l’immigration irrégulière.

Confrontée aux investigations des journalistes, la Commission européenne s’est dit "fermement" opposée aux pushbacks. "Nous avons indiqué aux autorités nationales que de telles pratiques sont illégales et doivent faire l’objet d’une enquête".

Du "ketchup" sur "leurs visages ensanglantés"

Ces refoulements violents ont également été documentés par des rapports d’ONG. En juin 2020, Amnesty International relayait le témoignage d’Amir, passé par la frontière croate. Lui et quinze autres demandeurs d’asile originaires du Pakistan et de d’Afghanistan avaient été arrêtées par des policiers croates dans la nuit du 26 au 27 mai 2020, près du lac Plitvice.

"Entre huit et dix individus portant des uniformes noirs et des cagoules identiques à ceux utilisés par les forces spéciales de la police croate ont tiré en l’air et frappé de façon répétée, à coups de pied, de matraque, de tiges métalliques et de crosse de pistolet, les hommes" du groupe. "Ils leur ont ensuite étalé du ketchup, de la mayonnaise et du sucre, qu’ils avaient trouvés dans un sac à dos, sur leurs cheveux et leurs visages ensanglantés, et sur leurs pantalons", raconte l’ONG.

Amir, lui, s’en sort avec "un bras et le nez cassés". "On lui a posé des points de suture dans le dos et sur la tête, et il présente des contusions visibles sur tout le visage et sur les bras". 

Depuis la Grèce, "évidemment qu’il y a des refoulements"

Outre la Croatie, le consortium de journalistes a également récolté des preuves de pushbacks aux frontières roumaines et grecques. En janvier, InfoMigrants avait recueilli le témoignage d’un Malien qui affirmait avoir été violemment refoulé par des policiers roumains. Un rapport réalisé en mai par le Danish refugee council et dix autres organisations avait quant à lui totalisé au moins 331 cas de refoulements effectués entre la Roumanie et la Serbie.

En Grèce, des vidéos de bateaux refoulés en mer Egée ont également été fournies aux médias par les migrants. Là aussi, de nombreux témoignages parvenus à InfoMigrants relatent les agissements illégaux des autorités. Une vidéo tournée en mer Égée le 30 avril montre par exemple un navire des garde-côtes grecs faire d'énormes vagues autour d'une embarcation de migrants pour les empêcher de rejoindre l'île de Lesbos. À bord du canot, on entend les cris et les pleurs des passagers apeurés.

"C'était la panique dans l'embarcation. L'eau entrait dans le canot, on essayait de l'évacuer avec nos mains. Tout le monde pleurait et suppliait les Grecs d'arrêter. On avait très peur. On ne savait pas quoi faire, on se pensait morts, on était désemparés", raconte Samuel, un Africain de 25 ans qui a filmé la scène.

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Dans la région moins documentée et très militarisée de l’Evros, au nord de la Grèce, les pushbacks seraient également nombreux et réguliers. "Evidemment, qu’il y a des renvois vers la Turquie", a assuré à InfoMigrants un ancien policier à la retraite sous couvert d’anonymat. "J’ai moi-même conduit pendant des années des bateaux [sur la rivière Evros] pour ramener des migrants vers la Turquie à la tombée de la nuit".

Selon Border violence, environ 4 000 personnes ont été refoulées illégalement depuis le début de l’année. "Il y en a certainement beaucoup plus, mais de nombreuses personnes ne parlent pas. Elles ont peur". 

 

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