Danish est transgenre, Khalid est gay. Craignant pour leur vie sous le régime des Taliban, les deux Afghans viennent d’être évacués vers le Pakistan. Voici leur histoire.
Pendant des semaines, Danish a vécu dans une semi-obscurité. Depuis la prise de pouvoir par les Taliban en août dernier, le jeune homme âgé d’une vingtaine d’années se cachait dans l'arrière-boutique d'un magasin à Kaboul.
Danish est transgenre. Sous le régime des Taliban, il risque la peine de mort. Depuis qu'il a 13 ans, Danish, né de sexe féminin, sait qu'il est dans le mauvais corps, un corps qu'il "déteste". Sur les photos qu'il nous fait parvenir, il a les cheveux courts et porte des vêtements d’homme.

"C’est à peine si je peux encore respirer", explique Danish. La nuit, il prend des somnifères pour ne pas broyer du noir. "Mon esprit est paralysé, mes pensées me rendent dingue." Dans un message envoyé avec son smartphone, il écrit vouloir se retrouver sur une plage et crier à gorge déployée.
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Pendant des semaines, Danish n'a de contact avec le monde extérieur que par le biais de son téléphone portable. Il communique avec très peu de personnes. Khalid est son plus proche confident. Khalid, la vingtaine également, est gay. La Deutsche Welle a été quotidiennement en contact avec les deux hommes via un service de messagerie crypté depuis le début du mois de septembre. Leurs noms ont été changés pour des questions de sécurité.
Roué de coups avec un tube en plastique
Khalid, qui se décrit comme "très féminin", avait tenté de prendre des précautions. En août, lorsque les Taliban avancent sur Kaboul, il troque son jean et son pull à capuche pour des vêtements traditionnels afghans. Il se laisse même pousser la barbe pour ne pas attirer l'attention.

Mais le 15 août, le jour où les Taliban envahissent Kaboul, il est victime d’une agression en pleine rue alors qu’il faisait ses courses. "Il y avait un Taliban derrière moi, je ne l'avais pas vu venir", se souvient Khalid. L’homme le frappe avec un tube en plastique et lui lance : "Pourquoi avez-vous une démarche aussi féminine ? Vous ne savez pas comment marcher correctement ?" Depuis ce jour, Khalid n’a plus quitté sa maison.
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Pour un homme ayant des relations sexuelles avec un autre homme, il n'y a que deux punitions possibles, a expliqué un juge Taliban dans une interview au tabloïd allemand Bild quelques semaines avant la chute de Kaboul : "C’est soit la lapidation, soit il doit se tenir devant un mur qui s’écroule sur lui. Le mur doit avoir une hauteur de 2,5 à 3 mètres."

Fin septembre, le mollah Nooruddin Turabi, l'un des principaux membres fondateurs des Taliban, a déclaré à l'agence de presse AP que le gouvernement allait réintroduire les exécutions et les amputations des mains pour les voleurs, comme dans les années 90. A cette époque, Nooruddin Turabi était ministre de la Justice. Selon un rapport du gouvernement australien, les homosexuels ont ainsi été régulièrement exécutés sous le précédent régime des fondamentalistes entre 1996 et 2001.
Discrimination et violences
Par la suite, la communauté LGBTQ n’avait plus été menacée de peine de mort sous les présidents Hamid Karzai et Ashraf Ghani. En 2018, une nouvelle loi a toutefois été adoptée pour punir les relations homosexuelles d'une peine pouvant aller jusqu'à deux ans de prison. Aussi, selon le code pénal afghan, les relations sexuelles hors mariage entre un homme et une femme restent interdites.
Au-delà du cadre légal, la discrimination et la violence à l’égard des personnes LGBTQ sont quotidiennes. Danish et Khalid en ont tous deux fait l'expérience. Ils ont été battus, rejetés par leur famille et les personnes de confiance sont devenues très rares.
Rencontres sous un faux nom
La communauté homosexuelle ne s’affiche évidemment pas ouvertement à Kaboul, explique Khalid lors d’une des conversations téléphoniques. Tout se déroule en secret pour des raisons de sécurité. Les rencontres s’organisent principalement grâce à une application, que les utilisateurs visitent sous un faux nom et avec une fausse photo de profil.

Lorsqu’on lui demande s’il a actuellement quelqu'un dans sa vie, Khalid se met à rire. Il explique n’avoir que des "friends with benefits", c’est à dire des amis avec lesquels il lui arrive d’avoir des relations sexuelles.
Khalid a vécu les regards de travers, les commentaires déplacés et les injures dans les rues de Kaboul.
Malgré son diplôme en économie, il n'a toujours pas trouvé de travail. Ce ne sont pourtant pas les entretiens d’embauche qui manquent. "Mes interlocuteurs ne sont pas intéressés par mon expérience. Ils ne posent pratiquement aucune question technique. Ils se moquent simplement de moi et font des plaisanteries." Pour Khalid, son comportement qu’il qualifie de "féminin" l’a empêché de décrocher un emploi.
Khalid s’inquiète aussi pour pour Danish, dont l’état de santé mentale semble s’aggraver de jour en jour.
Le rejet de la famille
Danish est de plus en plus rongé par la solitude, l'obscurité, l'incertitude et la peur de la mort. Il n'a vu personne depuis plus d’un mois. Il ne se nourrit que d’eau et de biscuits.
Des tatouages ornent ses bras, ses mains et son cou. Danish s’est fait faire son premier tatouage il y a trois ans. Là encore, il s’agit d’un tabou dans la société afghane, explique-t-il, et les tatouages sont strictement interdits par les Taliban.
Il s’est notamment fait tatouer le nom de la femme qu’il aime et avec laquelle il a été secrètement pendant deux ans. Mais la relation s’est arrêtée lorsque ses parents ont découvert sa transexualité. N’acceptant pas que leur fille éprouve le sentiment d’appartenir à l’autre sexe, Danish a même été marié de force à un homme.
Dans ses messages, il envoie également des photos montrant des hématomes sur ses bras, son dos et ses cuisses. "C'était mon père", explique Danish. Depuis ce passage à tabac, il n’a plus jamais revu sa famille.

Tout a finalement basculé pour Khalid et lui fin septembre, lorsque des ONG étrangères inscrivent leurs noms sur les listes d’évacuations des personnes LGBTQ menacées. Le 25 septembre, 41 jours après la prise de pouvoir par les Taliban, les ceux amis finissent ainsi par monter à bord d'un avion pour Islamabad, la capitale du Pakistan.
"Je me sens comme un oiseau. Je dois juste déployer mes ailes et m'envoler", raconte Khalid dans un message vocal après avoir appris la nouvelle.
Au Pakistan, Danish et lui sont désormais hébergés dans des lieux sécurisés. Ils y resteront jusqu'à ce que leurs documents soient en ordre pour leur permettre de déposer une demande d’asile dans un pays tiers.
Danish aimeraient aller aux États-Unis. Son rêve est de faire de la musique. "Je souhaite un jour pouvoir donner un concert en plein New York et chanter devant la foule".
Khalid souhaiterait vivre au Canada. Des connaissances lui ont dit que la communauté LGBTQ y était traitée avec respect et que chacun pouvait vivre dans la dignité. En attendant, Khalid a déjà réalisé l’un de ses vœux : il a verni ses ongles, en jaune, orange, rose et bleu.
Auteure : Esther Felden
Traduction : Marco Wolter
Source : dw.com