L'équipe de football de St Ambroeus, à Milan, réunit réfugiés, demandeurs d'asile et jeunes du quartier. Un moyen d'atténuer leur solitude, mais aussi de lutter contre le racisme dans le pays.
Abdoulaye jouait déjà au foot à Dakar, au Sénégal. Quand il a quitté son pays pour Milan il y a un an et demi, il a tout laissé derrière lui. Sa passion y compris. "Au début, c'était très difficile, raconte-t-il à InfoMigrants. Je ne connaissais personne de mon âge et je ne parlais pas italien". Et puis il entend parler du club de football de St Ambroeus. Quelques temps plus tard, le jeune homme de 21 ans rejoint l'équipe au poste de défenseur et s'y fait des amis "gambiens, maliens, burkinabé ... il y a beaucoup d'Africains, comme moi !" Au sein du groupe, l'exilé sénégalais côtoie aussi des jeunes du quartier.
"L'échange culturel, d'habitudes et d'idées différentes est indispensable, affirme Daniele Raduazzo, le directeur sportif du club. C'est pourquoi nous pensons que l'intégration des joueurs milanais au sein du groupe est très importante aussi".
Tous se retrouvent chaque mercredi et vendredi lors des entraînements et enfilent la tenue rouge et blanche de l'équipe milanaise le dimanche, pour les matchs. "Heureusement, le marché où je travaille est fermé ce jour-là. Ça me permet de participer au championnat toute l'année", confie Abdoulaye.

Fondée en 2016, St Ambroeus est la première équipe de football composée de réfugiés et de migrants non-originaires de l'Union européenne à être affiliée à la Fédération italienne de football dans le nord de l'Italie. Pour ses dirigeants, l’objectif est simple : offrir une chance aux joueurs de se faire des amis – du quartier et d’ailleurs - dans ce pays qu’ils connaissent peu. Le club dispense aussi des cours d’italien, afin de faciliter leur recherche d’emploi. Des leçons, en plus de celles dispensées par d'autres associations, qui permettent aujourd'hui à Abdoulaye de tenir une conversation en italien. "Maintenant je confonds même avec le français", avoue-t-il en riant.
St Ambroeus organise aussi des évènements pour "créer des réseaux de solidarité". En juillet dernier, ses dirigeants ont, par exemple, organisé un grand dîner sénégalais, dont les profits ont été reversés à "un de nos chers amis en difficulté", écrit le club sur sa page Facebook. Par son action, St Ambroeus souhaite incarner une "référence pour les nouveaux Milanais qui viennent d'un autre pays et qui cherchent à s'intégrer au tissu social de la ville".
Des citoyens de seconde zone
Dans le pays, les migrants sans papiers - environ 600 000 en 2020 selon les estimations du gouvernement - sont souvent considérés comme des citoyens de seconde zone. "En Italie, ces exilés ont peu de chances d'obtenir rapidement des documents à cause des lois très strictes sur l'accueil et la protection internationale. Cela rend l'accès au travail légal difficile, explique Daniele Raduazzo. Alors que dans le même temps, avoir un travail vous facilite l'obtention de papiers, c'est un cercle infernal".
Il est également "très compliqué d'accéder à des cours d'italien" et "l'accès aux soins de santé est bien plus limité que pour une personne qui est née et a grandi en Italie".
À rebours des discours anti-immigration prônés par certains politiques italiens, le club de football milanais ne cache pas son engagement envers les migrants et les réfugiés. Cet été, une banderole de St Ambroeus a flotté à bord du navire de l’ONG ResQ, qui conduit des sauvetages en Méditerranée centrale.
Il y a quelques jours, le club a aussi montré son soutien à l’ancien maire de Riace, condamné à 13 ans de prison pour incitation à l’immigration clandestine. "Dans le reste du monde, il est question du 'Modèle Riace' et le travail de Mimmo Lucano est montré en exemple. En Italie, on le met en prison. Nous exprimons toute notre solidarité à Mimmo Lucano".
"C’est comme si j’avais honte d’être noir"
Pour les dirigeants de St Ambroeus, le football fait partie des "moyens d'intégration sociale, d'échange et de connaissance" qui peuvent changer la perception de la population vis-à-vis des migrants. C'est aussi une "arme contre le racisme", assure Daniele Raduazzo. "Tous nos joueurs, quelle que soit leur origine, s'ils se sentent milanais, pour nous ils sont milanais. Avec notre club nous essayons de construire une équipe déconnectée des préjugés d'origine, de croyance, ou de genre".
En Italie, les incidents racistes et les préjugés envers les migrants ont la dent dure. Dans le football, ils sont presque légion, y compris dans les meilleures équipes du pays. La majorité des victimes sont des joueurs africains, mais aussi des joueurs italiens noirs. Dernier acte en date : les cris et les insultes proférés à l’encontre du défenseur franco-sénégalais de Naples, Kalidou Koulibaly, et des joueurs nigérian et camerounais Victor Osimhen et Franck Zambo Anguissa, lors d’un match contre la Forientina, le 3 octobre.
Parfois, les conséquences sont dramatiques. En juin dernier, l’ancien espoir de l’AC Milan Seid Visin, lassé du racisme quotidien auquel il était confronté, s’est suicidé à l’âge de 20 ans. Né en Éthiopie, le jeune homme avait été adopté à l’âge de sept ans par une famille italienne. "Où que j’aille, où que je sois, je ressens le poids des regards sceptiques, biaisés, dégoûtés et effrayés des gens", a-t-il écrit dans une lettre pour expliquer son geste. "J’avais pu trouver un travail [de serveur] que j’ai dû quitter parce que trop de gens, surtout les plus âgés, refusaient que je les serve […] C’est comme si j’avais honte d’être un noir".
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Abdoulaye a lui aussi été victime de racisme, une fois. "Une dame m'a insultée dans la rue. Ce n'est pas grave. À part ça, je n'ai jamais eu de problème". Le jeune homme préfère oublier et incident et se concentrer sur les mois à venir. "Cette année, on a une grande équipe. J'en suis sûr, on va gagner le championnat". Dimanche dernier, St Ambroeus a écrasé l'équipe adverse de Real San Donato 6 buts à 1.