En proie aujourd'hui à un mouvement de contestation mené par des jeunes, le Rif, région du nord du Maroc, a toujours entretenu des relations tendues avec le pouvoir central. Ceux qui se soulèvent aujourd'hui refusent l'alternative de l'exil vers l'Europe et ont fait le choix de rester dans leur pays pour demander à l'État davantage de réformes économiques et sociales.
C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase : la mort du vendeur de poissons Mohsen Fekri, broyé par un camion benne à al-Hoceima, dans le Rif marocain, il y a sept mois, a profondément dégradé les relations entre les habitants de la région et l'état marocain. L’événement tragique a mis le feu aux poudres : après une première vague de contestations, les manifestations se sont poursuivis - jusqu'à aujourd’hui.
Les protestataires revendiquent des réformes sociales, demandent des réponses aux problèmes auxquels ils sont confrontés, ils veulent que l'État trouve des solutions face au chômage qui mine la région. Des milliers d’entre eux ont ainsi
pris part au mouvement, malgré l’arrestation de quelques leaders.
"Ces manifestants, ce sont des jeunes qui ont choisi de rester dans leur pays", explique à InfoMigrants une activiste de la région qui souhaite rester anonyme. Beaucoup d'habitants du Rif ont en effet choisi de tenter l'aventure européenne. "Cela ne signifie pas que ceux qui sont partis sont moins attachés à leur terre, mais ils ont été forcés de la quitter à la recherche d’opportunités que l’État ne leur a pas fournies", ajoute-t-elle.
Une région marginalisée
Selon la militante, "les jeunes manifestent pour garantir une vie digne aux générations futures. Pour qu'elles puissent enfin vivre dignement et mourir dans leur pays", au lieu de rêver d’immigration. Les habitants du Rif méritent d’acquérir ces droits sur leur terre au lieu d’espérer en bénéficier à l’étranger. "Nous sommes très attachés à notre terre et nous ne permettrons pas cette politique d’exclusion qui nous pousse indirectement vers l’exil".
Le Rif marocain n’a pas bénéficié des politiques de développement qu’a connues le reste du pays. Les observateurs estiment que la région paye le prix de sa révolte contre le pouvoir central, depuis les années 1950. Elle a été marginalisée sous Hassan II, payant le prix de ce qui était largemnet considéré par la population comme "une punition collective". L’immigration était la seule échappatoire.
La génération des années 1960 a massivement immigré en France, en Hollande, en Belgique et en Allemagne. Des pays qui avaient un grand besoin de main d’œuvre à l’époque, dans différents domaines. Pendant les années 1990, la nouvelle génération a plutôt opté pour l’Espagne, qui connaissait alors un boom économique.
Des investissements mais…
Avec l’arrivée du Roi Mohamed VI au pouvoir en 1999, le Rif était censé entrer dans une phase de réconciliation avec le pouvoir. Pour preuve de sa bonne volonté, le roi avait même fait une visite officielle dans la région au début des années 2000. Mais le rapprochement ne s’est jamais concrétisé.
Les autorités affirment pourtant que, durant les 12 dernières années, l’État a investi 12 milliards de dirhams [soit un peu plus d’un milliard d’euros] dans différents programmes de développement. D’autres programmes sont par ailleurs en train de voir le jour dans la région, comme celui intitulé "Al Hoceima, phare de la Méditerranée", qui s’étend sur la période 2015-2019.
Reste que ces projets et ces chiffres annoncés par le gouvernement n’ont pas suffi à calmer la colère des manifestants :" Ces annonces n’ont aucun sens pour les jeunes de la région car ils n’en voient nulle trace dans leur quotidien", explique Ben Tahar Yahya, le directeur du site d'information Adwaa, contacté par InfoMigrants. "D’où leur insistance à demander des mesures urgentes et concrètes".