Une cinquantaine de femmes sans-papiers occupent une partie de l'église du Béguinage, à Bruxelles, le 22 juillet 2021. Crédit : InfoMigrants
Une cinquantaine de femmes sans-papiers occupent une partie de l'église du Béguinage, à Bruxelles, le 22 juillet 2021. Crédit : InfoMigrants

Une note de l'Office des étrangers laissant présager d'un refus de sa demande de régularisation a poussé Nezha, une Marocaine de 52 ans, a reprendre la grève de la faim, suspendue le 21 juillet dernier. Installée en Belgique depuis 2009, elle n'a jamais obtenu ses papiers, malgré "un dossier particulièrement bon".

Cela fait douze ans que Nezha a fui Casablanca, au Maroc, où elle était victime de violences conjugales. À son arrivée en Belgique, elle se démène pour y construire sa vie. Elle apprend le français et le néerlandais, s’investit dans diverses associations et commence à travailler. Plusieurs fois, elle tente de régulariser sa situation. Aucune n’aboutit. En mai dernier, pour réclamer une énième régularisation de sa situation, elle rejoint la grève de la faim des sans-papiers, suivie par près de 450 personnes. Après sa suspension, le 21 juillet, Nezha est confiante. "Son dossier était particulièrement bon, indique Marie Tancré, son avocate. Pour les grévistes, c’était ‘celui qui allait passer’, il n’y avait pas de doute".

Plusieurs semaines plus tard pourtant, la Marocaine est toujours sans nouvelle de l’Office des étrangers (OE), le premier organe en charge du traitement des dossiers des exilés. Le 22 septembre, son avocate en demande une copie. Pour Nezha, "c’est la douche froide". "La décision finale n’avait pas été rédigée, mais la mention ‘autorisation temporaire’ était barrée, laissant comme seule autre option le refus de la demande. Et le document était signé par le directeur de l’organisation, Freddy Roosemont", explique Marie Tancré.


Nezha, une Marocaine de 52 ans, a décidé de reprendre la grève de la faim suspendue le 21 juillet dernier. Crédit : DR
Nezha, une Marocaine de 52 ans, a décidé de reprendre la grève de la faim suspendue le 21 juillet dernier. Crédit : DR


Dans le dossier, une note interne classe les éléments "en faveur" et "en défaveur" de la régularisation de Nezha. "La première colonne étaient remplie. L’autre était vide". C'est l'incompréhension.

Mercredi 20 octobre, la Marocaine a donc repris la grève de la faim au sein de l’église du Béguinage. L’opération avait réuni des hommes, des femmes et quelques mineurs, qui réclamaient un titre de séjour avec accès au marché du travail. Un premier groupe de sans-papiers, majoritairement originaires du Maroc et d’Algérie, avait occupé l’église du Béguinage, deux autres, des locaux de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et de l’Université flamande (VUB).

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La médiatisation de la grève avait ravivé l’espoir de nombreux participants, qui, pour certains, attendaient une régularisation de leur situation depuis des années. Si la position du gouvernement, incarné par le secrétaire d'État belge à l'Asile et à la Migration, Samy Mahdi, n’avait pas cillé, beaucoup espéraient tout de même un changement. Surtout que les autorités avaient assuré, aux sans-papiers comme aux ONG présentes sur place, "des délais de traitement raccourcis", avait affirmé à InfoMigrants Coralie Hublau, responsable de l'action politique au CIRÉ, Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers.

"L’arbitraire règne"

Trois mois plus tard, "seuls six ou sept personnes ont reçu une réponse" de l’Office des étrangers, affirme Ahmad Manar, porte-parole des sans-papiers du Béguinage. D’après le média bruxellois Bx1, seule une personne a été régularisée "pour raisons médicales". Ce qui a penché en sa faveur ? "Une maladie en phase terminale, dont souffre le demandeur, qui ne peut être soignée dans son pays d’origine".

Pour les autres, "c’est toujours la même rengaine : attendre", déplore Ahmad Manar. "La majorité des sans-papiers patiente déjà depuis des années. Mais cette fois, on aimerait être traité avec respect. On est vraiment épuisé". Même son de cloche du côté de l’ULB, où "un épais mystère" entoure les procédures de régularisation, déplore Pierre Marage, son ancien vice-recteur, soutien du mouvement, pour qui "l'arbitraire règne" dans le traitement des dossiers.

Pour se défendre, l’OE avance des demandes "en grand nombre", et des dossiers "tous différents". "Nous devons vérifier chacun des éléments d’ancrage apportés par les demandeurs. Nous devons prendre contact avec des administrations communales, des écoles. Cela prend du temps", affirme Dominique Ernould, la porte-parole de la structure à Bx1. Une "tactique bien pensée, destinée à nous faire renoncer", pour Ahmad Manar.

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En attendant, le quotidien des grévistes est toujours aussi précaire. Après la suspension du mouvement, certains ont repris le cours normal de leur vie. Mais d’autres, qui n’avaient nulle part où aller, sont restés sur place. Chaque nuit, près de 100 personnes dorment toujours dans l’église du Béguinage, d’après son porte-parole. Et, selon Pierre Marage, un autre groupe de sans-papiers occupent toujours un local de l’ULB.

Si le cas de Nehza a découragé nombre d’entre eux, le combat pour la régularisation n’est pas terminé pour autant. "La grève, c’est le seul moyen dont on dispose pour se faire entendre, assure Ahmed Manar. Ces prochains jours, beaucoup d’anciens grévistes vont la rejoindre". 

 

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