Sur la route des Balkans, Jalal a été victime d'un accident de la route. Après un séjour à l'hôpital et malgré son état de santé toujours très fragile, les autorités hongroises ont renvoyé le jeune Marocain en Serbie.
"Mon nom est Jalal et je viens du Maroc. J’ai 30 ans. Je suis d’abord allé en Turquie, puis je suis passé par la Grèce et la Roumanie. Après la Roumanie, j’ai atteint la Hongrie. C’est là que j’ai eu un accident de la route en pleine nuit. Un gros camion m’a heurté."
Jalal s’appuie difficilement sur une canne. Le Marocain vit actuellement en Serbie dans un camp pour migrants à Subotica, près de la frontière hongroise.
Jalal est en Serbie depuis quelques semaines lorsque nous le rencontrons en mai dernier, en compagnie d’András Léderer, chargé de plaidoyer au Comité Helsinki en Hongrie. Il explique avoir été renvoyé par les forces de sécurité hongroises vers la Serbie. À cause de ses blessures, on l’aurait "forcé à ramper comme un bébé" pour passer la frontière.

Violation du droit international
Jalal explique avoir été heurté par un camion en Hongrie. En racontant cet accident, il imite le bruit du klaxon du véhicule. C'est la dernière chose dont il se souvient, avant l'impact.
"Je suis resté à l’hôpital pendant dix jours", se souvient-il. "On m’a opéré ici", dit-il en pointant du doigt plusieurs parties de son corps. "Ma main a été touchée, mes doigts et le côté et j’ai des fractures au visage. Je pense que tout mon corps est cassé."
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Jalal enlève son t-shirt pour montrer ses blessures. András Léderer du Comité Helsinki estime que "certaines blessures seraient probablement impossibles à montrer à la télévision. On voit jusqu’à la chair. Des morceaux de chair manquent à sa main. Il a une énorme blessure sur toute la jambe droite. Il ne peut pas marcher. Son oreille a été blessée, c’est horrible."
Choqué
András suppose que Jalal, qui peut à peine marcher, s’est fracturé la hanche. Et son état de santé ne lui permet pas d'aller trouver une aide médicale adéquate. Or, dans son camp de migrants, il est difficile d’obtenir davantage que quelques médicaments anti-douleur.
Depuis des années, András entend d’innombrables témoignages bouleversants de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés. Mais il admet que le cas de Jalal le choque profondément. Pour lui, "peu importe son statut, son pays de provenance, qu’il ait demandé l’asile ou non, on ne peut infliger cela à un autre être humain".

Le cas de Jalal "soulève de nombreuses questions légales, mais aussi morales", estime András.
Jalal dit ne plus se souvenir de grand chose après l’accident. Il se rappelle s’être réveillé à l’hôpital, où on l’aurait bien traité. À ce moment là, il espère pouvoir rester en Hongrie, où il aurait de la famille et des cousins. "Je veux travailler, je veux un futur, je veux aider ma famille", martèle-t-il. Mais après son séjour à l'hôpital, Jalal, qui est toujours en chaise roulante, est finalement embarqué par la police et placé dans un fourgon avec d’autres migrants. Tous sont relâchés à la frontière serbe et forcés à la traverser à pied.
"Il m’a dit qu’après avoir franchi la frontière, il a passé quelque temps seul, dans une maison abandonnée, malgré ses blessures", poursuit András. Ce genre de blessures doivent normalement être suivies par des infirmières à l’hôpital et dans des conditions sanitaires propres." D’autres migrants vont lui parler du camp à Subotica et l’aider à y entrer.
Expulsion illégale ?
"Jalal n’a jamais été en Serbie et il a de la famille qui vit en Hongrie", assure András, révolté. Lors de son passage à l’hôpital, aucune autorité hongroise n’aurait cherché à entrer en contact avec lui. "C’est tout simplement scandaleux."
Au-delà de ses blessures, le cas de Jalal intéresse particulièrement le Comité Helsinki parce que le Marocain n’aurait jamais mis les pieds en Serbie avant d’y être expulsé par les autorités hongroises. Selon ses dires, Jalal est arrivé en Hongrie par la Roumanie. Le renvoyer en Serbie serait alors contraire au droit international.

Jalal n’a plus sa chaise roulante. La police l’aurait laissée à l’hôpital après l’avoir embarqué. "Quand vous transférez quelqu’un dans une chaise roulante, vous ne pouvez pas le jeter en plein milieu de nulle part", commente András. Aussi, "cette expulsion collective menée par la Hongrie, sans aucune forme de documentation, dans un pays où il n’a jamais été, est définitivement une affaire pour la Cour européenne des droits de l’Homme." Le cas de Jalal serait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui fait référence au traitement inhumain et dégradant infligé à une personne.
Jalal se sent abandonné. Personne n’a été tenu pour responsable de ce qui lui est arrivé. "Je n’ai aucune aide", explique le Marocain. "Je veux simplement retrouver mon état de santé d’avant. Seulement ma santé, que mon corps redevienne ce qu’il a été. C’est désormais mon rêve."
L’entretien avec Jalal a été menée par le journaliste et réalisateur Idro Seferi, ainsi que András Léderer du Comité Helsinki.
Ces témoignages sont à retrouver dans le podcast anglophone "Tales from the Border" produit par InfoMigrants, et composé de huit épisodes disponibles sur Spotify, Apple Podcasts et d’autres plateformes de streaming