Le 3 décembre, une exilée de 38 ans originaire du Kurdistan irakien est morte dans un hôpital polonais, proche de la Biélorussie. Elle y avait fait une fausse couche, après avoir passé plusieurs jours dans la forêt. Son mari et ses cinq enfants ont été pris en charge par une association locale.
Avin Ifran Zahir s’est battue plusieurs semaines pour survivre. Dans la forêt glaciale polonaise, puis dans sa chambre d’hôpital. En vain. Elle est décédée d’une septicémie, le 3 décembre, à Hajnowka, une ville de l'est de la Pologne. Ses cinq enfants, âgés de 7 à 16 ans, et son mari ont été pris en charge par une ONG polonaise. "En raison de ces circonstances, nous ne voulions pas qu’ils soient transférés dans un centre gardé", a fait savoir la porte-parole des garde-frontières de Podlasie, Kataryna Zdanowicz, précisant que les enfants et leur père, Mourad, logeaient dans une maison prêtée par l’association.
Toute la famille avait pris l’avion de Dohuk, au nord de l’Irak, pour Minsk. Arrivée en Biélorussie, elle s’est dirigée vers la frontière polonaise. Enceinte de six mois, Avin Ifran Zahir a rapidement souffert des conditions de vie très difficiles dans la forêt, en plein hiver. Le 12 novembre, les enfants et leurs parents sont retrouvés par des bénévoles de Fundacia Dialog. "Les petits étaient assis très calmement et paisiblement à côté de leur mère, qui ne cessait de hurler. Leur père se tordait les mains, en appelant à l'aide", a indiqué au quotidien Gazeta Wyborcza, l'un des membres de l’équipe, Piotr Matecki. "Elle souffrait ainsi depuis deux jours, allongée, vomissant de l'eau, ne prenant aucune nourriture".
Avin Ifran Zahir, dont la température corporelle ne dépasse alors pas 28 degrés, est emmenée à l'hôpital par les secours. Le 14 novembre, elle y perd son bébé de 24 semaines. Il est enterré une semaine plus tard, dans le cimetière musulman de Bohoniki, accompagné par deux membres de la communauté locale et un imam. Sur une plaque funéraire, posée sur petit le cercueil blanc, a été inscrit le nom de l’enfant : Halikari Dhaker.
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Ce jour-là, l'exilée irakienne est inconsciente et sous dialyse. "Les médecins n'ont pas beaucoup d'espoir, même s'ils se battent toujours pour sa vie", avait assuré Fundacia Dialog. Avin Ifran Zahir a succombé quelques jours plus tard.
Son corps sera d’abord autopsié "pour clarifier les circonstances de la mort", a indiqué le chef du bureau du procureur de Hajnowka, Jan Andrejczuk, à l’agence de presse polonaise (PAP). Une enquête pour homicide involontaire a également été ouverte, lundi 6 décembre.
"S'il est établi que la victime et sa famille ont été expulsées vers la Biélorussie, la responsabilité pénale devra être assumée par les agents qui ont procédé à cette expulsion, a réagi le consortium d'associations Grupa Granica. Le fait de ne pas fournir d'assistance médicale à une femme voyageant avec cinq enfants et de l'emmener dans la forêt dans des conditions où les températures descendent en dessous de zéro est un motif recevable".
Ils "m’ont dit avoir piétiné deux ou trois corps"
La situation qui prévaut pour les exilés aux portes de l'Union européenne n'en finit pas de faire des victimes. Il y a trois semaines, un bébé d’un an, originaire de Syrie, est décédé dans la forêt. Son corps avait été découvert par l’ONG polonaise PCPM, aux côtés de ses parents. "L’homme avait une blessure au bras et la femme avait reçu un coup de couteau dans la jambe. Leur enfant était mort", avait raconté l'association. La famille se terrait dans la forêt depuis un mois et demi, pour échapper aux forces de sécurité et tenter de poursuivre leur route vers l’Europe de l’Ouest.
Selon la presse polonaise, au moins 12 migrants ont perdu la vie des deux côtés de la frontière polono-biélorusse depuis le début de la crise, cet été.
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Depuis le mois de septembre, l'état d'urgence instauré par Varsovie à la frontière empêche toute ONG d'accéder aux exilés, et de leur fournir eau, nourriture, et vêtements chauds. Dans un entretien au journal polonais Wyborcza, le médecin italien Pietro Bartolo, qui a accueilli les migrants à Lampedusa durant plus de 25 ans, dénonce "la peur et le climat de terreur et d'intimidation auxquels doivent faire face les représentants des organisations humanitaires […] et tous ceux qui veulent aider". "Les gens ont même peur de simplement donner une bouteille d'eau à ceux qui en ont besoin".
Sur place, les témoignages des migrants font craindre une situation bien plus dramatique que celle décrite par les autorités. "Plusieurs personnes qui ont tenté de rejoindre la Pologne [de] nuit, m’ont dit avoir piétiné deux ou trois corps", a assuré Bahadin, un exilé rencontré par RFI. Chaque jour, des Kurdes irakiens le contactent pour l’informer qu’ils sont bloqués à la frontière. Beaucoup d’entre eux n’ont plus donné de nouvelles depuis plusieurs jours.