Après la saturation du réseau d'accueil en décembre dernier, plusieurs centres ont ouvert dans l'urgence pour héberger les demandeurs d'asile, à Bruxelles et ailleurs dans le pays. Des solutions certes bienvenues pour les associations, qui déplorent néanmoins des décisions prises dans l'urgence. Et qui n'empêcheront pas une énième crise.
Certains dormaient à même le trottoir de ce quartier du centre-ville de Bruxelles, sous la pluie et la neige. Pourtant, la loi belge garantit un hébergement temporaire à tout exilé qui souhaite déposer une demande d’asile en Belgique. Mais en décembre, beaucoup n’ont pas eu d’autres choix que de patienter des heures voire plusieurs jours devant les portes du Petit Château, l’unique centre d’enregistrement pour demandeurs d’asile du pays, saturé.
Un mois plus tard, le soulagement domine du côté des associations. "La crise a été en partie réglée. En ce moment, plus personne ne dort dehors. C’est déjà ça", souffle Muriel Goncalves, chargée de communication à Médecins du Monde (MdM) Belgique. Certes, "chaque matin, une file se forme devant les locaux du centre, affirme de son côté Benoît Mansy, porte-parole de Fedasil, l’agence fédérale pour demandeurs d’asile qui gère la structure. Mais désormais, chaque personne qui se présente peut disposer d’une place temporaire d’hébergement, avant d’être redirigée ailleurs, pour une durée plus longue, le temps de l’examen de sa demande. À Bruxelles principalement et dans d’autres centre du pays".
Plus de 29 000 places d'hébergement temporaire
Pour répondre à la demande, les autorités ont, depuis quelques semaines, augmenté leurs capacités d’accueil. Outre les 813 lits à disposition au Petit Château, 140 places sont disponibles depuis le 4 janvier dans un bâtiment situé Porte de Hal. Pour l’instant, seul un accueil de nuit y est assuré. Les résidents y sont accueillis à partir de 17h et jusque 10h le lendemain matin. Le "manque de personnel", et "des problèmes d’infrastructures" rendent impossible l’accueil de jour pour le moment. "Mais d’ici deux mois, ce sera chose faite", assure Benoît Mansy.
Près de 400 places sont aussi proposées dans le nouveau centre d’accueil de la Croix-Rouge installé dans l’ancien hôtel Mercure d’Evere, une commune de Bruxelles. L'équipe municipale de la capitale s’est elle aussi mobilisée, en louant un espace d'hébergement dans un hôtel, d’une capacité de 100 personnes.
D’autres structures ont ouvert en urgence, et pour un temps limité, ailleurs en Belgique : dans des bâtiments appartenant à l’armée, à Glons et à Lombardsijde par exemple. Les centres de Geel, Lommel et Marcinelle, fermés jusque-là en raison d’un taux d’occupation en baisse, ont également rouvert leurs portes.
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Aujourd’hui, le réseau d’accueil belge compte plus de 29 400 places, réparties dans près de 80 centres collectifs et des logements individuels. Et il pourrait encore augmenter ces prochains mois. Mi-décembre, la Belgique a commandé à l’ESAO, le Bureau européen d'appui en matière d'asile, 150 conteneurs destinés à loger les demandeurs d’asile. "Un effectif de renfort de 46 personnes, dont 25 interprètes" seront aussi sollicitées, précise un communiqué du secrétariat d'État à l'Asile et la migration. D’après l’ESAO, d'autres hébergements d'urgence supplémentaires pourraient même être livrés à "moyen terme".
Une crise prévisible
Des initiatives saluées par les associations, qui regrettent en revanche que ces décisions n’aient pas été prises plus en amont, lorsque des signes de la crise à venir pointaient déjà. Soit bien avant que les exilés ne dorment dehors. À la fin de l’été 2021, Fedasil cherchait déjà activement des sites et des bâtiments pour accueillir les personnes dans des conditions dignes. Le gouvernement fédéral avait décidé de la création de 5 400 places tampons. Mais la mise en œuvre de cette décision a pris du temps.
En octobre, les agents de Fedasil avaient fait grève durant quelques jours, pour dénoncer le manque de places dans le réseau d’accueil et la dégradation de leurs conditions de travail. Une action similaire a été menée un mois plus tard, leurs demandes n'ayant pas été entendues.
D’après le CIRÉ, une association dédiée à la défense des droits des personnes exilées, "la situation a commencé à dysfonctionner début septembre 2021 : les portes du Petit Château fermaient plus tôt dans la matinée, afin de limiter les entrées dans le réseau d’accueil, qui approchait déjà de la saturation. "Certaines personnes, dont des profils vulnérables, se retrouvaient sur le carreau et devaient se représenter le jour ouvrable suivant, passant une nuit ou deux sans accueil de la part de l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, Fedasil", affirme-t-elle dans un rapport intitulé "Crise de l’accueil des demandeurs d’asile, une histoire sans fin". "À partir du 19 octobre 2021, la situation s’est fortement aggravée. Les portes du Petit Château (complètement saturé) ne laissaient désormais entrer qu’un nombre très limité de personnes".
"À chaque fois, c’est le même problème, déplore Muriel Goncalves. Ce que l’on demande, ce sont des mesures structurelles de fond. Il est tout à fait possible de se préparer, d’anticiper, plutôt que de toujours agir en réaction. Lorsqu’on déplore la situation, il est déjà trop tard". En décembre, une quinzaine de mineurs non accompagnés, pourtant prioritaires, n’ont pu être accueillis au Petit Château ni même déposer leur demande d’asile, rapporte la RTBF. "Une situation inacceptable d'autant plus que l'on savait depuis plusieurs jours que cela allait encore se détériorer", avait dénoncé le délégué général aux droits de l'enfant, Bernard De Vos.
"Un problème de gestion" plus qu'un "afflux de migrants"
Pour sa défense, le secrétariat d'État à l'Asile et la migration jure que "le réseau d'accueil est sous pression en raison de l'augmentation de l'afflux en provenance d'Afghanistan", depuis le retour au pouvoir des Taliban le 15 août dernier. D’après l’ESAO, le nombre de demandes d'asile en Belgique a en effet connu une forte hausse durant l'année écoulée, avec un pic en septembre, où les demandes ont atteint un niveau record depuis 2015.
Mais Muriel Goncalves insiste : c’est bien "un problème de gestion et non un afflux inédit de migrants" qui pèse sur le système d’accueil belge. À cela s'ajoute "des séjours dans les centres plus longs qu’auparavant", indique Benoit Mancy. Les exilés peuvent attendre 15 à 18 mois avant que leur demande ne soit traitée. Et en attendant, d’autres personnes se présentent aux portes du centre. Cela créé un embouteillage". Les chambres dédiées à l’isolement sanitaire en cas de Covid-19, et les inondations de juillet dernier dans le pays - durant lesquelles Fedasil a perdu quelques bâtiments, réquisitionnés pour les sinistrés - complètent la liste des raisons de la crise.
Au détriment des migrants. "Les droits humains, ce n’est pas ‘à la carte’ ou ‘quand on peut’, s’insurge le CIRÉ. Les droits humains doivent être respectés quelles que soient les circonstances. Et quel que soit le contexte, plus ou moins prévisible ou non, l’État doit respecter ses obligations".