À l'été 2021, des milliers de migrants sont entrés illégalement en Lituanie depuis la Biélorussie. Ils se sont retrouvés bloqués à la frontière de l'Union européenne, enfermés dans des camps. InfoMigrants avait rencontré plusieurs de ces exilés, originaires du Moyen-Orient et d'Afrique, qui rêvaient de rejoindre l'Europe de l'ouest. Six mois plus tard, que sont-ils devenus ?
Ils pensaient rejoindre l'Europe de l'ouest en quelques jours, et six mois plus tard, ils sont toujours bloqués dans des camps, dans l'est de la Lituanie, près de la frontière biélorusse. C'est dans ce petit pays balte, sans expérience d'immigration, outre celle - limitée - des opposants biélorusses, que des milliers de migrants sont entrés pendant l'été 2021.
Principalement originaires d'Irak et de Syrie, mais aussi de pays africains dont la République démocratique du Congo (RDC) ou le Cameroun, ils ont été convaincus par Minsk de pouvoir atteindre sans restriction le territoire de l'UE. Mais la crise diplomatique qui oppose l'Union européenne (UE) à la Biélorussie a tout compliqué.
Enfermés dans des centres près de la frontière, au titre d'une loi votée en juillet par les députés lituaniens, ils pensaient être libres de leurs mouvements au terme des six mois de rétention prévus par le texte. Mais le 23 décembre, les parlementaires ont voté une prolongation de la durée de détention des exilés, la portant à un an.
Tshetshe : "Mon état physique s'est vraiment dégradé"
Tshetshe* fait partie des Africains qui vivaient en Biélorussie en tant qu'étudiants à l'ouverture de la frontière. Arrivé durant l'été, ce Congolais de RDC est enfermé dans le centre d'hébergement de Verebiajei, lorsqu'InfoMigrants le contacte, en août. Dans ce minuscule village perdu en pleine campagne, une ancienne école délabrée a été reconvertie à la va-vite en centre fermé pour loger les exilés.

Deux mois plus tard, Tshetshe est transféré – comme de nombreux autres migrants – dans le centre de Medininkai, tout près de la frontière biélorusse. Lors d'un nouvel entretien avec InfoMigrants, fin janvier 2022, il a affirmé être encore à Medininkai. Il s'inquiète des conséquences de cet enfermement de plusieurs mois sur sa santé et celle des autres exilés. "Nous sommes enfermés depuis plus de six mois. Or, quand les gens sont enfermés ils s'énervent rapidement donc nous essayons de gérer les humeurs de chacun, explique-t-il. Par ailleurs, la nourriture est donnée en quantité très insignifiante. Mon état physique s'est vraiment dégradé. Je prends du sucre durant la journée pour avoir de l'énergie."
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La demande d'asile de Tshetshe et son recours ont, tous deux, été rejetés par les autorités lituaniennes. Ingénieur en télécommunications et ancien fonctionnaire du régime de l’ex-président Joseph Kabila, le Congolais assure que sa vie est menacée en RDC et exclut de rentrer, même contre de l'argent. "Je ne sais pas ce qu'il va se passer maintenant pour moi", s'interroge-t-il.
Laurenne, 23 ans : "Quand je suis seule, je pleure"
Laurenne aussi vit désormais dans le camp de Medininkai. InfoMigrants avait rencontré cette jeune Congolaise, originaire de Kinshasa, en août, dans un autre centre d'hébergement, celui de Vydenai, à environ 80 km de Vilnius. En septembre dernier, elle a été transférée à Medininkai et vit désormais dans un conteneur réservé aux femmes seules.
Comme Tshetshe, elle dit souffrir de la faim et pense avoir perdu beaucoup de poids. "La nourriture que l'on nous donne ici me fait mal au ventre alors je mange juste un petit peu de pain", explique-t-elle. La jeune se dit également très affectée moralement par une détention dont elle ne voit plus la fin. "Je n'ai pas le moral. On est là, toujours enfermés, on ne peut pas sortir. Quand je suis seule, je pleure", confie-t-elle.

Pour ne rien arranger : la situation sanitaire du compartiment où elle vit s'est dégradée depuis qu'une épidémie de gale s'est déclarée. Selon le porte-parole du Service national des gardes-frontières (SBGS) Giedrius Mišutis, interrogé par le média lituanien LRT, 72 migrants étaient infectés par la maladie le 20 janvier.
"Habituellement, quatre personnes vivent dans un conteneur. Si une seule personne atteinte de gale est diagnostiquée, les quatre autres sont placées à l'isolement", a-t-il précisé, ajoutant que les personnes infectées reçoivent des vêtements neufs et de la crème cicatrisante.
Mais, selon Laurenne, si les personnes infectées reçoivent bien des vêtements propres et de la crème, elles ne sont pas isolées.
Outre les conditions sanitaires du centre, la jeune femme souffre de l'incertitude de son avenir. Elle attend encore le résultat de sa demande d'asile mais ne se fait pas d'illusion : "Trois femmes Érythréennes ont obtenu l'asile dans notre camp, mais ce sont les seules. Toutes les autres personnes ont eu un refus. Aucune Congolaise n'a obtenu l'asile."
Kadhim, 22 ans : "Je suis l'un des rares Irakiens à avoir obtenu l'asile"
Vilnius n'a accordé l'asile qu'à une infime partie des 4 000 personnes entrées dans le pays depuis l'été. "Seuls 87 'étrangers ayant franchi illégalement la frontière lituano-bélarusse' ont obtenu l’asile alors que 3 189 décisions défavorables ont été rendues", a souligné Libération, citant les chiffres du ministre lituanien de l'Intérieur. Sollicité par InfoMigrants, le ministère n'a pas répondu à nos demandes d'interview.
Kadhim Mazin fait partie des heureux élus. Ce jeune Irakien de 22 ans est arrivé en Lituanie depuis Bagdad, via la Biélorussie, début août 2021. D'abord enfermé dans le camp de Rudninkai dans des conditions de vie extrêmement précaire, le jeune homme a été déplacé, en septembre, dans l'ancien centre pénitencier de Kybartai, aujourd'hui utilisé pour loger des demandeurs d'asile.

Le 21 décembre dernier, soit trois mois après son entretien de demande d'asile, il a appris que la Lituanie lui accordait la protection internationale. "Je suis l'un des rares Irakiens à avoir obtenu l'asile ici, se réjouit-il. La raison principale est que je suis homosexuel et que c'était devenu très difficile pour moi de vivre en Irak. J'avais beaucoup de problèmes avec ma famille et mes proches".
Depuis le 29 décembre, le jeune homme vit dans le seul centre d'hébergement pour réfugiés du pays, à Rukla. Il décrit des conditions de vie bien meilleures que dans les précédents lieux d'hébergement par lesquels il est passé. "Ici, nous sommes sept par chambre. Il y a des personnes seules mais aussi des familles. On nous donne 45 dollars toutes les deux semaines pour nous acheter à manger et cuisiner."
Kadhim attend désormais de recevoir sa carte de séjour pour quitter le centre de Rukla et débuter sa nouvelle vie dans le pays. "Rukla est une petite ville. Il n'y a rien à faire ici donc, quand j'aurai ma carte de séjour, j'irai à Vilnius. D'abord à l'hôtel et je chercherai un travail et un appartement à louer", planifie le jeune homme. "Le futur est devant moi."

*Le prénom a été modifié