Wouri, Suhail, Rafiul, Ayesha... Ces enfants nés aux quatre coins du monde n'ont ni le même âge, ni le même niveau scolaire. Ils ne parlent pas non plus la même langue. Mais ils partagent la même envie : celle de bien travailler à l'école. Pour les aider à atteindre leur but, ils suivent une scolarité particulière adaptée à leurs besoins dans des classes appelées UPE2A. À Trappes, en banlieue parisienne, Wouri et les autres peuvent compter sur Myriam, leur enseignante. Reportage.
"Qu’est-ce que tu entends quand je dis ‘temps’ ? Attention Ayesha, c’est le son ‘-an’ de ‘maman’. Pas le ‘on’ de ‘bonbons’." Il est 8h30 en cette pluvieuse matinée de février et les élèves de Myriam récitent déjà leurs leçons. Face à elle, sur de petits bureaux disposés en U, huit enfants de 6 à 11 ans ont sorti leurs devoirs faits la veille. Myriam passe de cahier en cahier, vérifie que le travail a été fait, tout en gardant une oreille attentive du côté d’Ayesha. Une fois l’exercice terminé, la petite fille originaire du Pakistan, arrivée en France en janvier 2020, range son ardoise blanche. Elle enfile son sac à dos rose presque aussi grand qu’elle et, chaussée de baskets à paillettes de la même couleur, quitte la salle de classe pour une autre.
Comme onze autres de ses camarades scolarisés cette année à l’école Gustave Flaubert de Trappes, en région parisienne, Ayesha est inscrite dans deux classes distinctes. La première correspond à son âge – la classe de CP - et la deuxième l’aide à perfectionner son français : c’est la classe UPE2A, pour "unité pédagogique pour élèves allophones arrivants". Créé en 2012, le dispositif propose une prise en charge des élèves récemment arrivés en France ayant des difficultés en langue française, qu'ils aient suivi ou non une scolarité dans leur pays d’origine. Au cours de l’année 2018-2019, près de 68 000 élèves allophones [qui parlent une langue différente de celle de leur pays d'accueil] nouvellement arrivés en France en ont bénéficié, d’après des chiffres de l’Éducation nationale.

À son inscription à l’école - qui peut se faire tout au long de l’année - l’enfant est soumis à des tests en français et en mathématiques, à l’oral comme à l’écrit, pour évaluer son niveau. Quand cela est possible, une évaluation peut aussi lui être présentée dans sa langue d’origine. Dans l’école Gustave Flaubert, un entretien est également organisé entre Myriam, le directeur de l’établissement et la famille "dans l’unique but de comprendre un peu mieux le parcours de l’élève, et de connaître les projets de la famille", tient à préciser l'enseignante.
"C’est important pour l’enfant comme pour l’équipe pédagogique de savoir si la famille s’installe durablement à Trappes ou si elle est susceptible de quitter la ville. C’est dur pour tout le monde lorsqu’un enfant, pour différentes raisons souvent liées à la situation administrative des parents, quitte l’école du jour au lendemain. On préfère s’y préparer." Une assistante sociale ou un interprète peuvent être présents sur demande. Une fois la procédure terminée, une classe de référence est attribuée à l'enfant, en plus d’une place en UPE2A. Durant un ou deux ans, selon ses besoins, il navigue alors entre les deux.
"J’ai rêvé que j’étais sur scène et qu’on me jetait des pommes"
À Trappes, les élèves de Myriam suivent dans leurs classes des cours d’anglais, de sport ou d’arts visuels. Et avec elle, ils travaillent les mathématiques, la grammaire et l’orthographe. Ils s'exercent aussi à s’exprimer sur des situations du quotidien. Chaque matin commence ainsi par une petite conversation entre les élèves. Objectif : savoir se présenter et répondre à des questions simples. À Suhail, 11 ans, qui lui demande : "Comment te sens-tu aujourd’hui ?", Wouri, 10 ans, répond ce matin-là : "Je suis fatiguée, car j’ai fait un mauvais rêve. J’étais sur scène et on me jetait des pommes et des tomates". "Ça, c’est à cause de la sortie au théâtre, hier !", la rassure Myriam.
Une fois les formules de politesse terminées, le groupe se sépare en plusieurs binômes. "Je divise mes heures de cours entre temps différencié et temps collectif. Chacun progresse selon son niveau mais peut aussi apprendre des leçons de ses camarades", explique Myriam, qui corrige tour à tour la grammaire de Rafiul et Mohamed-Amine, et l’exercice sur tablette tactile de Wouri et Suhail. "Eh oui, Rafiul, LA poule, c’est au singulier", lui glisse-t-elle entre deux phrases de dictée pour le petit Guedio.
Au bout d’une vingtaine de minutes, il est temps de faire "un point collectif". Wouri range la tablette et sort un stylo de sa trousse rose à motifs zébrés. Tous écoutent attentivement Rafiul et Mohamed-Amine classer les groupes nominaux selon leur genre et leur nombre dans un exercice projeté sur le tableau blanc. Mohamed-Jbrail lève le doigt, de plus en plus haut, si bien qu’il finit par se lever légèrement de sa chaise. Guedio les regarde, en mâchouillant les cordons de son sweat.

Au retour de la récréation, le petit garçon de 9 ans se retrouve seul avec Myriam. Tous ses camarades sont partis dans leurs classes de références. Arrivé en France avec ses parents et sa sœur le 23 septembre dernier, Guedio ne savait ni lire ni écrire le français. En Mauritanie, le pays où il est né, l'élève de CE2 allait à l’école coranique. "Il a très vite progressé", assure Myriam. Avec sa professeure, Guedio s’exerce ce matin à représenter des chiffres avec de petits bâtons blancs. Il écrit d’abord le nombre sur son ardoise, puis le recopie consciencieusement au propre sur son cahier. "Il a fait un gros travail personnel pour en arriver là. Je l’ai dit aussi à sa maman : il est incroyable."
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D’après elle, "plus les enfants arrivent jeunes, mieux c’est". "Les petits à l’école sont plus souples et plus flexibles qu’au collège, où il est aussi possible d’intégrer une UPE2A. Leur mémorisation est meilleure aussi. Globalement, à cet âge-là, l’adaptation est bien plus rapide."
Objectif : la réussite des enfants, "sans pour autant effacer leur passé"
Mais certains enfants portent aussi, malgré eux, les stigmates d’un parcours d’exil cabossé. "J’ai déjà eu des élèves qui, littéralement arrachés de leur pays, refusent catégoriquement d’apprendre une autre langue, déplore Myriam, qui enseigne en classe UPE2A depuis 2014. Cette année, ce n’est pas le cas. Mais avec Ayesha par exemple, ce n’est pas tous les jours facile. Elle parle très peu."
Au contraire de Suhail, né en Afghanistan. "Il discute énormément, je suis souvent obligé de lui dire de se calmer." Son camarade Rafiul, arrivé en France en décembre 2019 du Bangladesh, se plaint lui d’avoir parfois "du mal à respirer", et de sentir "un poids dans le cœur". "On sait qu’il n’a pas de problème de santé. C’est une façon pour lui d’extérioriser ses angoisses", affirme Myriam qui, au-delà de son rôle d’enseignante, avoue avoir "toujours un œil sur les à-côtés".
"Ces enfants ont particulièrement besoin d’être mis en valeur. On essaye de leur montrer que notre seul objectif, c’est leur réussite, sans pour autant effacer leur passé : on s’appuie sur leurs compétences, on leur en apporte d’autres, et avec tout ça on construit leur avenir".

Après le déjeuner, tous les élèves de Myriam sont réunis. Premier exercice de l’après-midi : décrire le menu de la cantine. "Nous avons mangé une omelette", indique Suhail. "Oui, mais moi à la maison, je mets du piment dessus, c’est meilleur", rétorque Mohamed-Jbrail. La gastronomie sera le thème de cette deuxième partie de journée. Pour les deux heures à venir, la classe planche sur la construction d’une recette de cuisine. Pain de Berlin, poisson cuisiné à la portugaise et soupe chinoise… Au tableau sont projetés des plats du monde entier, dans leur langue d’origine. "C’est bon le poisson, on en mange beaucoup au Bangladesh, commente Rafiul. Ah, les sweet potatoes [patates douces en français, ndlr] on en fait souvent aussi".
"On leur inculque les us et coutumes français. C’est normal qu’en échange, ils puissent aussi partager les leurs", indique Myriam, avant d’être coupé par Suhail. "Maîtresse, tu te souviens quand je t’avais fait le ferni [une crème afghane avec de la cardamome et des pistaches] ? Tu avais adoré !"
Pour savoir où se trouve la classe UPE2A la plus proche de chez vous, renseignez-vous auprès de votre mairie.